Tunisie: Est-ce le crépuscule de la troïka sur fond a teinte économique ?

PAR Farouk Ben Ammar, Ph.D.
Plusieurs éléments et événements récents m’ont exhorté à écrire cet article, et j’en profite pour brosser un tableau politique et économique succinct de la situation en Tunisie, sur fond de querelles, de lutte pour le pouvoir, de troubles religieux, et d’alliances contrariées plus ou moins légitimes.
Plusieurs éléments et événements récents m’ont exhorté à écrire cet article, et j’en profite pour brosser un tableau politique et économique succinct de la situation en Tunisie, sur fond de querelles, de lutte pour le pouvoir, de troubles religieux, et d’alliances contrariées plus ou moins légitimes.
J’étais amené à tirer des conclusions à partir d’arguments revêtant un caractère plutôt économique, qui convergent vers une fatale conclusion : La fin imminente de la Troïka pour le profit d’un équilibre des grandes mouvances et forces politiques du pays !
Les Origines Économiques des Grandes Révolutions
Les origines de la vague des révolutions qui a récemment bouleversé une partie du monde arabe, ne sont guère différentes de celles de la plupart des grandes révolutions de part le monde qui ont été déclenchées essentiellement pour des raisons socioéconomiques et des revendications de dignité et d’équité : Une dignité qui ne peut être rétablie que par le travail et la justice sociale.Je citerais :
• La Révolution Américaine
Afin d'amortir le coût de la guerre de Sept Ans en Europe, la Grande-Bretagne imposa des taxes à ses colonies d’Amérique du Nord. Les produits manufacturés dans les colonies américaines ne devaient pas être exportés, et les colons ne pouvaient qu’acquérir des produits britanniques. Ces derniers, dénonçaient le monopole sur le trafic de certaines marchandises et en particulier le thé.
Les colons américains protestèrent, puis lancèrent une révolte. En juillet 1776, les représentants des colonies réunis à Philadelphie adoptèrent la déclaration d’Indépendance.
• La Révolution Française.
Celle-ci trouve bien ses origines dans les conflits opposant les classes sociales et dans la crise économique qui marqua la fin du XVIIIe siècle. La crise socialeétait provoquée par l'opposition grandissante de la bourgeoisie naissante contre l'aristocratie détentrice des privilèges politiques et surtout économiques.
• La Révolution Russe.
L’ouvrage de Lénine contient un chapitre intitulé « Les bases économiques de l’extinction de l’Etat », un rappel des idées avancées par Marx ou Engels. Selon eux, l’Etat s’éteindra lorsque le communisme sera réalisé. Lénine préconisait, que la réussite de la révolution serait assurée si la dictature du prolétariat s’appropriait le contrôle de l’activité économique des grandes entreprises et des grands services publics.
• La Révolution Chinoise.
La révolution populaire de 1949, trouve ses racines loin dans l'histoire. Des décennies durant, les capitalistes étrangers et l’État des féodaux ont pillé et opprimé le peuple chinois. Le joug impérialiste et les méthodes féodales d’exploitation ont creusé des fossés entre les classes menant le pays au bord des abysses d’une catastrophe économique et politique. La révolution populaire était alors la seule issue.
• La Révolution Cubaine.
Les échanges commerciaux avec les USA ont dominé l'économie cubaine pendant toute la première moitié du XXe siècle. Le gouvernement US put asseoir son influence politique sur l'île. Cette prédominance persista jusqu'en 1959, lorsque le dictateur de celle ile fut chassé par les révolutionnaires. Un programme d'expropriation des sociétés et des grandes propriétés foncières américaines conduisit à la rupture des relations avec le jeune gouvernement cubain.
Effritement du Socle de la Troïka
La Troïka, à qui le pouvoir a échu sans qu'elle en comprenne les rouages, ressemble de plus en plus à un funambule tenant, tant bien que mal, en équilibre sur un monocycle sur une corde raide. La Troïka s’est affaiblie suite aux défections des membres des deux partis qui la composent, dont les effectifs, comme on le sait, commencent à fondre comme neige au soleil : Résultat : l’ANC patauge et n’avance pas dans ses travaux.
Mais le danger qui guette la Troïka est plus économique que politique. Un pays encore instable comme le notre et moyennement coté par les agences internationales de cotation ne peut qu’avoir recours à des banques commerciales et/ou de développement pour la création d’emplois, augmentant ainsi sa dette publique déjà de proportions pharaoniques.
Sans omettre de mettre en exergue les constats suivants :
• Investissements et aides étrangers conditionnés par la garantie des libertés individuelles et des medias : Une conséquence directe du procès à sensation d'une chaine privée tunisienne largement hypermédiatisé aux USA.
• Une fuite soutenue des capitaux tunisiens vers l’Algérie et la Libye, comme au temps révolu de l'ancien régime.
• Un retour en force et une réconciliation des tunisiens avec la principale organisation syndicale, considérée comme un puissant levier contre le gouvernement.
• Des divisions entre forces de l’ordre et la société encore prégnantes avec ses conséquences néfastes sur la sécurité et du citoyen et des instituions économiques, et conséquemment sur l’environnement des investissements, etc.…
Le Revirement Tactique de la Position des USA
Dans une lettre adressé au peuple américain, l’actuel président américain dit : « ….. Comme vous le savez peut-être, les États-Unis ont rejoint la commission de l'ONU sur les droits de l’homme et œuvre à rendre cet organe le plus efficace possible…. Dans nos relations avec d'autres pays, la question des droits de l'homme continuera à être soulevée le plus clairement possible, avec persistance, et aussi efficacement que possible. Entre autres choses, nous allons continuer à promouvoir la responsabilité pour les crimes contre l’humanité, le respect des droits des minorités et des femmes, la liberté d'association, de la parole, de la religion, et la liberté des gens de vivre comme ils le souhaitent... »Changement patent d’attitude de la diplomatie américaine, qui s’engagerait à promouvoir :
• La responsabilité pour les crimes contre l’humanité.
• Les libertés fondamentales et la liberté d’expression, de la presse et des médias.
• Le respect des droits des minorités ethniques et des femmes.
• La liberté d'association, de parole et de religion...
Ou en est la Tunisie vis-à-vis des ces points ?
Déjà l’administration américaine est passé à l’action en menaçant de bloquer 50 Millions USD d’aide pour le Sénégal si ce pays n’extrade pas vers la Belgique, ni juge un ancien président du Tchad pour crimes contre l’humanité.
Les USA ne plaisantent pas quand il s’agit de défendre la démocratie et les libertés fondamentales des peuples, c'est l'essence même de son existence, comme le déclarèrent les pères fondateurs de cette nation, même s’ils défendent toujours leurs intérêts économiques et l’« American Way of Life ».
Mais quels intérêts ont les USA en Tunisie, sauf celui de nous rapatrier des extrémistes religieux, des prédicateurs, et des ex-terroristes « graciés » ! Un plan bien élaboré depuis les attentats du 11 Septembre 2001, et mis en exécution.
Le gouvernement est-il de taille pour militer contre cette déferlante ?
Dans la même veine, pourquoi ne pas installer une base militaire américaine à Bizerte (Tant convoitée par la France et les USA) sous prétexte de protéger le monde civilisé contre ces personae non gratae ?
« …La Tunisie serait-elle un Guantánamo à ciel ouvert, une terre d’asile pour les extrémistes de tous bords, une immense prison avec vue sur mer... »
Encore, est-ce par pur hasard, ou pour ses « compétences » qu'un tunisien fut « nommé » dans le comité des droits de l’homme de l’ONU ou siègent désormais les USA. Un homme opposant à ses heures au gouvernement tunisien, et connu pour sa position de normalisation des relations avec Israël, disposé plus que jamais à mettre son « expertise » au service des USA ?
OU TROUVER FINANCES ?
D’après La COFACE, principal Assureur de Crédits Français, la dette publique tunisienne s’élèverait à 46% du PIB en 2012, soit plus de 30 Milliards TND.Les USA ont daigné nous faire don de la bagatelle de 100 Millions USD pour réduire notre dette extérieure afin de pouvoir emprunter plus !
L’État est plombé par sa lourde dette et déficit et l’aide financière arrive par à-coups et sous conditions (propos de l’émissaire de l’Union Européenne lors de sa dernière visite en Tunisie) !
La bonne nouvelle c’est que la Tunisie bénéficie de la meilleure « Note d’Environnement des Affaires », un « A4 », comme le Maroc et la Turquie. La Libye étant notée par un piètre « D », l’Egypte et l’Algérie un modeste « B ».
Cette note est le sésame pour emprunter à bon compte sur les marchés et pour les IDE : Empruntons donc !
Seulement, la Libye, avec son « D » n’a que faire des investissements étrangers avec ses immenses rentes pétrolières et sa très faible dette publique estimée à seulement 2.5% du PIB, l’une des plus faible au monde. Ce pays, malgré les tumultes qui le secouent, affiche une santé qui tranche avec la conjoncture économique internationale.
D’après les données économiques de la COFACE, seule la Libye, avec ses 30% de croissance en 2012 (estimation), pourrait recruter en masse des expatriés, mais loin de là, suite à la pression américaine, ce pays préfère son voisin immédiat : l’Egypte qui enregistrerait le plus faible taux de croissance (seulement 1.2%).
« La Libye fera appel à 1 000 000 d’Egyptiens » : dixit le ministre libyen du Travail. Ce même ministre, lors de la visite officielle de la semaine dernière, vient de proposer, sans vergogne, le recrutement de seulement 3 000 Tunisiens qui seront probablement recrutés dans les magasins que compte ouvrir une chaine Tunisienne !
L’Egypte est ainsi récompensée pour avoir soutenu logistiquement les insurgés de Ben Ghazi !
Alors que, la Tunisie a du prendre en charge les dizaines de milliers de réfugiés affluant de la tripolitaine fief du leader lynché par les insurgés, et a donné asile aux hommes du régime déchu : Droit de l’Homme Oblige !!!!
En outre, l’Egypte, pesant lourd sur l’échiquier géopolitique, est acquise aux USA, et est gouvernée par une coalition des deux principaux courants religieux surveillée par une puissante institution militaire garante, contre son gré, du respect des accords de camp David avec l’Etat Hébreux : L’aide militaire américaine pour L'Égypte s’élève à quelque 1,3 milliard USD / An. On ne crache pas sur une telle aubaine !
En mai 2011, la Tunisie avait obtenu du G8, des promesses de soutien financier pour couvrir ses déficits publics et extérieurs. A cet effet des prêts de la BM et de la BAD ont étés mis en place, auxquels s’ajoutent ceux programmés par la BEI ou l'AFD : Des prêts conditionnés, encore, par le respect des droits de l’homme, et de la liberté d’expression !!!!!
Un rebond de l'économie était attendu en 2012, en raison d’une hypothétique reprise de la CONSOMMATION DES MÉNAGES, conditionné par un retour à une situation sociopolitique stable, et une reprise de l’investissement privé pour résorber le chômage. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : Le pouvoir d’achat des ménages dégringole vertigineusement.
Encore que ce rebond est malheureusement freiné par les tensions sociopolitiques et les revendications syndicales, dans un contexte économique mondial déjà difficile.
Épilogue
Dans le contexte actuel, les grandes pétro-dictatures arabes qui ont une sorte d’engagement « moral » envers notre pays et les quelques banques commerciales et Islamiques demeurent les seuls investisseurs et préteurs potentiels. Pour cause, la défiance des investisseurs étrangers envers les titres de dette de notre pays.Encore, les banques créancières réinvestiraient-elles une partie des sommes remboursées (100 MD USD) à l'échéance de leurs titres dans de nouvelles obligations souveraines tunisiennes, e.g, avec le Qatar.
Aujourd’hui, des dictatures soutiennent et financent des extrémistes en Tunisie pour plonger le pays dans le chaos. Un chaos qui achèverait notre économie en la sacrifiant sur l’autel de l’intolérance religieuse, et surtout le tourisme qui représentait plus de 17% du PIB !
Les investissements US ne seraient plus de mise suite aux menaces d’assassinat proférées à l’encontre des touristes de confession juive : Propos colportés par les médias US.
Les perspectives pour les prochains mois ne sont guère enthousiasmantes, la croissance ne devrait pas permettre d'embellie en 2012. Le chômage devrait continuer à augmenter.
Les politiques d'austérité ne feraient qu’assombrir les perspectives de l'emploi en Tunisie. Même l’intérêt d'aller travailler a fondu grâce au Programme « AMAL » !
Dans la foulée, les fonctionnaires, désargentés, se voient « invités » à garnir volontairement un « Fonds de la Dignité et de l’Emploi ». Le gouvernement préconise des solutions, mais aux effets limités et temporaires. Ces décisions seront probablement contestées par les syndicats sur fond de baisse du pouvoir d’achat des ménages, un syndicat qui campe toujours sur ses positions.
Encore une impunité patente des anciens caciques, sous couvert d’une probable réconciliation nationale, désormais de mise, qui risque de causer le tollé général de la population !
Sans omettre les troubles réguliers, dont les origines peuvent être tout à la fois sociales, claniques, mafieuses, tribales ou encore liées à de nouvelles formes d’extrémisme religieux. La désorganisation qui a accompagné la révolution a été mise à profit pour conforter ces troublions.
LE GOUVERNEMENT DOIT SE RENDRE COMPTE DES ÉCUEILS QUI SE PROFILENT, POUR RÉAGIR A TEMPS, ET LE PEUPLE LE SOUTIENDRA !
Désormais, les forces progressistes ont tout à gagner en œuvrant à l’unisson et éviter les bisbilles qui ne feront que les affaiblir. Ils feront subir, certainement un échec cuisant à la troïka lors des prochaines élections législatives. Aboutissant ainsi à une vraie démocratie, bâtie sur un vrai équilibre des forces politiques majeures du pays.
Une chose est certaine, le peuple ne pardonnerait plus de dérive autoritaire, politique ou sociétale.
Enfin, ce que je constaterais avec une certaine affliction :
« ...Si rien n’y est fait dans le domaine des droits imprescriptibles du citoyen et des libertés, les aides et crédits conditionnels mèneraient implicitement vers un embargo financier qui pourrait étouffer le pays économiquement et conséquemment faire tomber tout gouvernement présent et futur... »
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