« Prix du meilleur jeune économiste tunisien » : sélection adverse et risque moral d’une excellente initiative

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**Par Moktar Lamari, Ph.D
Economics for Tunisia, E4T**







Il y a une semaine, l’Association des Économistes Tunisiens (ASECTU) et le Global Institute for Transitions (GI4T) ont « joint leur volonté » pour parrainer et dévoiler le nom de leur lauréat ainsi que ceux des nominés du Prix du Meilleur Jeune Économiste Tunisien pour 2025.

Une excellente initiative

Félicitations au récipiendaire de ce Prix et aux deux autres jeunes nominés, dont les travaux ont brillé par leur qualité, leur impact et leur diversité. Le mérite en recherche n’est pas une mince affaire, et il faut travailler dur pour publier et se distinguer. Publier ou périr est un slogan connu et par pour rien.

En même temps, le processus de sélection et les tensions créées (directement et implicitement) dans le cadre de cette initiative ont laissé un goût amer chez un grand nombre d’économistes actifs en Tunisie et dans des universités internationales, Amérique du Nord, pays du Golf ou en Europe non francophone.

Le récipiendaire principal est un brillant jeune économiste, actuellement en stage post-doctorat en Allemagne, au sein d’un Institut de Recherche multidisciplinaire dans le domaine des Changements climatiques. Félicitations aussi aux deux autres jeunes économistes qui ont mérité cette reconnaissance.

Le mérite contre la médiocrité

Par cette initiative, l’Association des Économistes tunisiens donne l’exemple et ouvre le chemin de l’excellence dans la recherche universitaire en économie, dans un pays qui a tant besoin de cette discipline pour éclairer les choix publics. Célébrer le savoir, souligner l’excellence, il n’y a rien de mieux pour allumer les passions en recherche et passer la flemme de génération en génération.

Cela dit, le processus qui a mené à ce résultat est imparfait et mérite notre attention, pour éviter de continuer dans la même perspective et griefs liés. Deux reproches discréditent le processus de nomination et les procédures liées.

Le premier concerne l’implication dans ce processus d’un think tank et de certains anciens économistes tatoués politiquement. Trois anciens ministres de la décennie noire (en économie) ont encadré l’initiative, d’une manière ou d’une autre. Comme toujours, l’arbre se juge à ses fruits.

Aucun de ces trois ministres, habitués au pouvoir et alliances douteuses, n’a osé faire une seule critique contre les politiques économiques de cette décennie dominée par les alliances et les manigances qui ont ruiné la Tunisie. Aucune seule position n’est aujourd’hui attribuable à ces trois ministres. Mais, on prend les mêmes et on recommence. La Tunisie mérite mieux de ses économistes.

Le second reproche concerne l’exclusion de facto d’une large frange des économistes, ou du moins des écoles de pensée économique. Les économistes formés en France ont dominé le processus, comme si de rien n’était. Ils ont joué le jeu du mandant-mandarin, aux coudes pour pousser les autres et s’imposer dans ce vide sidéral.

Les deux reproches sont liés et interdépendants, et voilà pourquoi.

Le think tank concerné, Global Institute for transition (IG4T), est dirigé par un ancien ministre des Finances en Tunisie. Dr Hakim ben Hammouda, ministre des Finances entre 2014-2015, un « économiste » qui n’a jamais été professeur des universités, son dossier ne le lui permet pas, et pour manque de publications et de reconnaissances par les pairs.

IG4T a mobilisé des ressources dont les sources sont peu connues, et probablement liées à des organismes et institutions françaises opérant en Tunisie. Ce n’est pas neutre et ce n’est pas souhaitable dans ce genre de concours et d’événement qui doit rester indépendant des influences politiques et autres enjeux d’influence. Ceci explique cela, on tire les ficelles comme toujours.

IG4T, malgré son nom anglais, ne présente pas sur son site, ses sources de financements, ne dit rien sur son plan stratégique (plan d’affaires) ou dit moins sur les membres de son conseil d’administration. Beaucoup comme moi souhaitent avoir une idée plus claire sur les ambitions et desseins véhiculés par le IG4T. Le mérite ne doit pas rimer avec la médiocrité ou l’omerta.

Entre amis, mandants et mandarins

La constitution des membres du comité scientifique chargés de la sélection et l’examen des dossiers pose problème aussi et sur deux plans.

Un: les membres du comité de sélection et les personnalités honorifiques liées n’ont pas tous été des économistes prolifiques ayant suffisamment de citations et d’impacts. On ne sait vraiment pas, à l’aune de quel critère ou par quel concours d’accointances, on a formé ce Comité d’économistes pour organiser et attribuer les Prix et les reconnaissances.

Google scholar mesure le facteur d’impact par le nombre de citations de façon objective, vérifiable et transparente. M. Zoauri, M. Ben Hamouda (deux anciens ministres), n’ont aucune existence soulignée par le moteur de recherche google Scholar. Zéro citation par les pairs, fautes de publications à la hauteur et évaluées par les pairs. Aucun rayonnement international qui les prédispose à siéger et à agir dans ce cadre.

Les scores donnés par GoogleScholar aux autres membres du Jury sont comme suit: Mme Marrakchi 60 citations pour une carrière de presque 25 ans, Mme Mehri 0 citation, M. Gassab, 34 citations, après plus de 35 ans de carrière d’économiste.

Trois membres du jury sont plus prolifiques et mieux cités, à savoir M. Jouini mathématicien-économiste avec 4597 citations, Mme Lahmandi-Ayed avec 441 citations et M. Zitouna avec 119 citations.

Les critères de sélection du comité n’ont certainement pas intégré l’excellence et l’impact de ces économistes en charge des arbitrages et de la rigueur dans l’examen de la pertinence, la qualité, le potentiel et donc de la vraie valeur ajoutée scientifique.

Inbreeding, la consanguinité en plein

En science comme en génétique, la consanguinité n’infante pas une progéniture forte et saine mentalement.

Dramatique: aucun membre du jury ne vient d’une formation Ph.D nord-américaines, aucun n’est professeur à l’international, tous francophones formés dans le sillage des influences parisiennes et cursus de formation d’économie en France.

Ayant parlé à un membre du comité, avant hier, il me dit « nous ne connaissons pas de bons économistes tunisiens à l’international pour siéger dans le comité de sélection… ». L’Association des économistes auraient pu penser aux professeurs Gargouri, Ennabli, Bourgsala, Ben Klifa, ou Mansouri, pour nommer que certains.

A l’international Mme Narjess Boubakri (université américaine) compte de 12000 citations sur google scholar, M. Nabil Amara (université canadienne) compte plus de 14000 citations. Mme Boubakri est classée dans les 5%, les meilleurs au monde en Finance, M. Amara dans le 2% des meilleurs au monde en économie de l’innovation.

Personnellement (moktar Lamari), je compte plus 4100 citations sur googlescholar, malgré mes multiples interruptions de carrière universitaire

Rebâtir la confiance

La collégialité et le mérite sont des principes fondamentaux de la recherche universitaire. Ces deux principes ont manqué dans ce cas de figure.

Ces deux principes fondateurs de la liberté académique doivent guider l’Association des Économistes tunisiens et la sortir de l’emprise de ses démons et mandarins d’une autre époque.

Cela ne veut pas dire que les économistes membres des comités et instances décisionnelles n’ont pas le droit de faire de la politique ou de défendre des programmes partisans. Ce qui compte c’est de ne pas mélanger les genres et ne pas se mêler les pédales, en empruntant des raccourcis peu éthiques et en jouant le jeu des forces et groupes de pressions étangers.

De telles initiatives doivent s’émanciper des diktats de l’économie à la française. Elles doivent favoriser la pluralité et fédérer objectivement les différentes obédiences et paradigmes à l’œuvre dans la science économique (au singulier).

L’erreur reste humaine, il faut donc faire un post mortem de cet événement, pour faire mieux. Pourquoi pas un meaculpa…

Il ne faudra pas que par cette erreur, déplorable certes, d’autres comités ou initiatives parallèles voient le jour en riposte, pour contester l’Association des économistes et discréditer encore plus les économistes universitaires en Tunisie.


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