TUNISIE : Justice transitionnelle? cas du militant « Ridha Ben Ammar » ou l’histoire oubliee.

Farouk Ben Ammar, Ph.D
Le militant Ridha Ben Ammar (RBA) naquit le 23 Mars 1926 à Tunis (El Omrane), il était agriculteur avant de s’engager dans la politique et le mouvement national.
Le militant Ridha Ben Ammar (RBA) naquit le 23 Mars 1926 à Tunis (El Omrane), il était agriculteur avant de s’engager dans la politique et le mouvement national.

Durant la deuxième guerre mondiale, RBA fit ses premières armes et fut entrainé dans un camp militaire que supervisait le directeur du parti destourien d’alors. Il était l’un des fondateurs de l’Armée de Libération Tunisienne, il conduisit ainsi la résistance armée dans la capitale Tunis et ses environs durant la période 1952 – 1956.
RBA fut arrêté par l’armée française en 1953, et réussit à s’évader de « Zandalet Bardo » pour se refugier à Tripoli en Libye et regagner par la suite l’Egypte Naceurienne avec soixante (60) de ses compatriotes ou’ il reçu une formation militaire poussée au Caire.
RBA était le premier à s’opposer aux accords du 3 juin entre la Tunisie et la France, les jugeant humiliants pour les tunisiens. Il a alors supervisé un groupe de résistants qui opérait dans les grandes villes tunisiennes. Le 21 Mai 1956, RBA fut arrêté par l’armée tunisienne (qu’il a contribué à créer) de concert avec la garde nationale à « Mejez El Bab ».
En 1957, « La Haute Cours » le condamna à vingt (20) ans de travaux forcés dans l’affaire qui fut connu sous « Le Complot Yousséfiste ».
En 1965, après neuf (9) ans de prison sous l’ère Bourguibienne, RBA fut relaxé, bien qu’il ait refusé catégoriquement de demander la grâce présidentielle, comme l’exigea Bourguiba, qui lui proposa même d’intégrer le gouvernement avec le portefeuille de ministre de la défense nationale, considération faite de sa grande expérience dans le domaine militaire : RBA refusa courtoisement cette proposition.
Au demeurant, RBA demeura actif dans le domaine des droits de l’homme en tant président d’honneur de la ligue tunisienne des droits de l’homme.
RBA décéda le 18 Février 1979 à Tunis après une intervention chirurgicale à l’hôpital de la « Rabta » après avoir lutté des années durant contre une grave maladie.
Le Dernier Groupe Youssefiste : « Le Groupe de Ridha Ben Ammar »
Le 21 Mai 1956, le ministre de l’intérieur, Taieb Mhiri, annonçait dans une conférence de presse, l’arrestation du dernier « Groupe Youssefiste » dans la ville de Mejaz El Bab, par l’armée tunisienne, la garde nationale en collaboration avec les services secrets français.
Il fut jugé le 28 Janvier 1957 par « La Haute Cours » qui faut instaurée à juste titre par le décret présidentiel du 19 Mars 1956, furent jugés aussi feu Salah Ben Youssef et trois de ses lieutenants en prononçant à leur encontre la peine capitale par contumace : ils étaient en état de fuite.
Soixante-dix (70) autres résistants furent arrêtés, le procès dura treize (13) jours, un procès connu sous « Le Complot Youssefiste ». Trois (3) des résistants furent exécutés le 2 Février 1957.
La presse écrite de l’époque relatait que les véritables vedettes du procès étaient « Ridha Ben Ammar » et son compagnon « Ali Zlitni », qui écopèrent vingt (20) ans de travaux forcés. Les autres détenus furent condamnés à des peines légères avec des amendes, certains furent acquittés.

Création de l’Armée de Libération Nationale Tunisienne : Le Conseil Supérieur de la Résistance Armée.
Suite au lâche assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached, un groupe de résistants : Ridha Ben Ammar, Salah Bouderbala, Hamadi Ghars, Noureddine Ben Jemii, Hedi Ouertani…après de longues réunions et concertations secrètes tenues à El Omrane et à La Marsa, se résolurent de créer « Le Conseil Supérieur de la Résistance Armée » duquel fut issu le premier noyau de l’Armée de Libération Nationale Tunisienne. Ils se sont réunis dans la mosquée d’El Omrane, et prêtèrent sermon sur le saint coran pour venger la mort de Farhat Hached en ayant recours à la lutte armée.
Salah Ben Youssef désigna RBA chef de l’armée de libération au grand Tunis.
Le conseil cité ci-haut, était contre l’assassinat de tout tunisien quelques soient ses orientations et obédiences politiques tant qu’il ne trahissait pas la noble cause tunisienne : « …Que ne vive point en Tunisie quiconque la trahit… » Abou El Kacem Chebbi ( ÝáÇ ÚÇÔ Ýí ÊæäÓ ãä ÎÇäåÇ )
Les Accords du 3 Juin 1955 entre la Tunisie et la France
A partir du 20 Novembre 1955, le mouvement de résistance armée connu une division parmi ses rangs entre ceux qui rejetèrent les accords et ceux qui ont répondu à l’appel du néo-destour pour abandonner et cesser toutes activités militaires contre la France.
Certains leaders ont répondu à l’appel en rendant leurs tabliers : Lazhar Chraiti, Sassi Lasoued et Mosbah Jarboui, alors que Tahar Lasoued et « Le Groupe de Ridha Ben Ammar », encore refugié au « Machrek Arabe » (Moyen Orient), avaient refusé de baisser les armes.
Le militant Hamadi Ghars disait sur ce sujet que le rejet des accords Franco-Tunisiens par le groupe de RBA avait bien devancé le rejet de ces mêmes accords par les Yousséfistes, ce qui prouve que RBA et ses compagnons n’étaient pas de mouvance Youssefiste : Seul l’intérêt suprême de la Tunisie les motivait.
Hélas, ces accords cristallisèrent le schisme entre Bourguibistes et Yousséfistes entretenant déjà des relations de cordiale détestation !
Le destin voulut que le président Mohammed Ben Ammar, père de RBA, préside le fameux « Comité des Quarante Sages » qui était désigné par le gouvernement pour donner son avis sur les dits accords.
Le rapport final fut élaboré au domicile de Mohammed Ben Ammar à la Marsa, sous l’œil vigilant et la protection de l’armée de libération par crainte d’un attentat de la part de la malfamée nébuleuse terroriste pro-française « La Main Rouge ».

Le Président Algérien Ahmed Ben Bellah et Ridha Ben Ammar
Ahmed Ben Bellah, premier président de l’Algérie indépendante, vouait une estime et un grand respect à RBA et ses compagnons pour leur soutien inconditionnel aux résistants algériens lors de leur lutte contre le colonisateur français.
Selon ses déclarations lors de son interview durant le programme « Témoin d’une Epoque » (ÔÇåÏ Úáì ÚÕÑ) diffusé sur la chaine qatari AL JAZEERA le 27 Octobre 2002, le président Ben Bellah fit pression sur Bourguiba, utilisant comme levier de contrainte le dossier épineux des frontières entres les deux pays et ce pour libérer RBA (qu’il appelait Grand Militant) par crainte qu’il soit assassiné dans sa cellule (c’était monnaie courante à l’époque : Ça sentait la chasse aux sorcières à plein nez).
Bourguiba acquiesça et céda sous la pression du président algérien et relaxa RBA au début de l’année 1965 : Ce fut un jour de fête dans le tout Tunis. Bourguiba n’oubliera jamais cet affront : on ne force pas la main au « combattant suprême » !

L'Evasion Héroïque de « Zendalat Bardo » du 22 Aout 1953
Suite à l’arrestation du militant Noureddine Ben Jemii, et son incarcération dans la prison civile le 5 Juin 1953, il y trouva un groupe de ses compagnons de lutte pour l'indépendance : RBA, Hamed Zghal et Moustapha Ouertani….
Vers la fin Juin 1953, les cités ci-haut furent transférés à « Zendalet Bardo », les détenus du Bardo se réjouisserent par la venue de leurs compagnons d’armes puisqu’ils avaient entamé la préparation d’un plan d’évasion suite à une initiative du militant Hamda Jenayeh. Sauf que le responsable des détenus, Mahmoud Ben Gara, les empêcha de mettre le plan à exécution en appréhension des lourdes conséquences d’un tel dessein si le plan échouait.
Cependant, avec le grand enthousiasme que manifesta RBA et son adoption du projet d’évasion, Noureddine Ben Jemii et ses compagnons assumèrent la responsabilité de l’étude du plan et de son perfectionnement.
Ainsi ils commencèrent à creuser durant la nuit pour créer un trou dans l’épais mur de leur cellule et ce pendant deux (2) mois !
Ils grattaient le ciment qui entourait et liait les grosses pierres en utilisant des outils de fortune tels que des cuillères…et chaque fois qu’une pierre fut libérée, ils la remettaient en place en la faisant entourer par de la « Bsissa » après l’avoir mélangée avec de la cendre pour lui donner la couleur du ciment initial et tromper la vigilance des gardiens.
La mère de feu RBA, la défunte Hajja Habiba Chaouch, assurait l’approvisionnement en « Bsissa » qu’elle lui envoyait régulièrement avec son petit-fils.
Ainsi s’évadèrent héroïquement RBA et quarante-six (46) de ses codétenus la nuit du 22 Aout 1953. Quatre (4) des fugitifs furent malheureusement arrêtés dont un fut abattu par l’armée française.
RBA et ses compagnons de lutte regagnèrent la Libye après des périples innombrables, à pieds et à dos de dromadaires nuitamment pour éviter la chaleur torride du désert, se reposant le jour.
Les fugitifs se trouvèrent dans l’enfer jaune qui prit ses droits, mordant dans leur chair à belles dents. Ils cherchaient pitance dans tout ce qu’ils trouvaient dans la nature pour ne pas mourir de faim, s’abreuvant dans les eaux insalubres des marécages ce qui a développé chez RBA une maladie qui fut la cause de son décès un 18 Février 1979 lors d’une intervention chirurgicale non réussie.
Il était alors âgé de 53 ans, laissant derrière lui une veuve et cinq (5) enfants dont l’ainée ne dépassait pas les neuf (9) ans.
Epilogue
Feu Ridha Ben Ammar est enterré dans le caveau familial des Ben Ammar dans le cimetière Sidi Yahia à El Omrane. Puisse Dieu l’agréer parmi les siens ainsi que tous ceux qui ont milité pour une tunisie arabo-musulmane, indépendante et libre.
Il est temps de rendre hommage à cet homme, afin de perpétuer sa mémoire, et tant d’autres, sinon c’est une condamnation post mortem.
Ne ratons pas la marche encore une fois. C’est un impératif moral de réécrire l’histoire du mouvement national, la vraie, pas celle rédigée par le « vainqueur » car devant le tout-puissant n’est vainqueur que celui qui dit la vérité !
A ce propos, Alexis de Tocqueville disait : « l’histoire est une galerie de tableaux ou’ il y a peu d’originaux et beaucoup de copies ».
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