L’UGTT, la lente agonie d’un syndicalisme râleur et branleur
Moktar Lamari,
Economics for Tunisia, E4T
Economics for Tunisia, E4T
En Tunisie, en 2025, la productivité du travail est à son plus bas niveau, mais la réthorique syndicale expliquant les raisons de la déchéance du travail est à son plus haut niveau. Hiatus et capharnaüm ébranlent l’UGTT dans une ambiance de fin de reigne et d’agonie annoncée...
Le syndicalisme proné par la centrale et son syndicaliste en chef (de l’UGTT), se base sur deux principes,
1. augmenter la productivité c’est enrichir l’ tat tunisien et faire prospérer les entreprises (et ce n’est pas l’objectif),
2. au lieu de produire de la richesse, il faut produire des discours, des slogans, des excuses et des coupables … en face.
Un militantisme désuet et d’une autre époque. Une culture de râleurs de branleurs…
Un syndicalisme anti-productivité
Au centre de cette grande pièce de théâtre socio-économique trônent des élites syndicales d’une autre époque, personnages fatigués, ventreux et verbeux, toujours en costume d’époque : l’UGTT.Ancienne force redoutée, aujourd’hui institution spectrale, elle continue de parler fort dans un pays qui n’écoute plus vraiment — surtout pas au travail.
Il fut un temps où l’UGTT structurait le monde du travail. Elle encadrait les colères, transformait la rage en revendications, et les revendications en compromis. Le travail avait un sens politique : produire, c’était participer, résister, exister.
En 2025, le travail a surtout un sens chronométrique : arriver, pointer, attendre, repartir. Et l’UGTT accompagne ce rituel comme un maître de cérémonie distrait, récitant des formules anciennes devant une salle à moitié vide.
La productivité, nous dit-on, est une question de discipline. En Tunisie, elle est surtout une question de désillusion. « Pourquoi se fatiguer ? », demande le travailleur moyen, devenu philosophe par nécessité.
L’UGTT, censée répondre, propose un silence stratégique ou un communiqué tardif. Elle protège des postes sans contenu, des statuts sans perspectives, des droits sans avenir. Résultat : une main-d’œuvre légalement présente mais moralement absente. La grève n’est plus l’arme ultime ; c’est le désengagement quotidien qui fait le plus de dégâts.
La grêve est au quotidien
Dans le secteur public, la satire devient institutionnelle. On y travaille dur à préserver l’immobilisme. L’UGTT y a excellé dans un art subtil : confondre protection des travailleurs et protection de l’inefficacité.Toute tentative de réforme est immédiatement qualifiée d’attaque contre les acquis, comme si l’acquis suprême était de ne jamais changer. « Ici, on est syndiqués contre l’effort inutile », plaisante un fonctionnaire. La productivité administrative est ainsi élevée au rang de menace idéologique.
Dans le privé, l’UGTT joue un autre rôle : celui du souvenir. Elle existe dans les statuts, rarement dans les ateliers. Le salarié négocie seul, mal armé, pendant que le syndicat consulte ses archives.
Sans médiation crédible, le travail devient un échange brutal : temps contre salaire, sans loyauté ni projection. « Je fais ce pour quoi je suis payé, pas plus », explique un employé. Et il a raison. La productivité ne naît pas de la peur, mais de l’adhésion. Or personne n’adhère à un système qui ne promet rien.
Une force de blocage ?
La grande ironie nationale, c’est que l’UGTT continue d’être accusée de bloquer l’économie, alors qu’elle n’en a plus la capacité. Elle ne bloque plus ; elle flotte. Elle n’impose plus de rapport de force ; elle gère son déclin. Elle parle de lutte pendant que les travailleurs parlent de visa. « Le meilleur syndicat, c’est l’ambassade », lâche un ingénieur. Cette phrase, à elle seule, résume l’effondrement d’un imaginaire collectif du travail.La débâcle de l’UGTT est aussi générationnelle. Elle s’adresse à des jeunes qui n’ont jamais connu le monde qu’elle défend. Réunions interminables, langage fossilisé, références héroïques recyclées : tout un folklore respecté, rarement suivi. « Ils nous parlent de dignité, moi je cherche un avenir », dit une jeune salariée. Quand le syndicat devient musée, le travail devient routine. Et la routine ne produit rien d’autre que de la fatigue.
Naufrage sans assistance
L’ tat, lui, observe ce naufrage avec une satisfaction mal dissimulée. Affaiblir l’UGTT semblait être une victoire : moins de négociations, moins de grèves organisées, moins de contre-pouvoirs. Mais voilà le paradoxe cruel : sans syndicat fort, il n’y a pas plus de productivité, seulement plus de chaos discret. Le travailleur démotivé ne se rebelle pas ; il ralentit. Il ne manifeste pas ; il s’éteint professionnellement. Et un pays rempli de travailleurs éteints n’avance jamais, même au pas.La productivité tunisienne est ainsi devenue une grande hypocrisie collective. On exige plus d’efforts de travailleurs qui n’ont plus confiance. On réclame des résultats à des institutions qui ont cessé de fonctionner.
On invoque la responsabilité individuelle pour masquer un échec politique structurel. L’UGTT, autrefois médiatrice du sens du travail, n’est plus qu’un acteur périphérique dans un système qui a rompu le lien entre effort et reconnaissance.
La satire atteint son sommet lorsque chacun accuse l’autre. L’ tat accuse l’UGTT d’immobilisme. L’UGTT accuse l’ tat de répression. Les travailleurs accusent tout le monde. Et pendant ce temps, la productivité reste exactement là où elle est : basse, mais cohérente avec le niveau de confiance nationale. Car on ne produit jamais mieux que ce que l’on espère.
Une ambiance abrasive
Il serait tentant de transformer cette chronique en exécution publique du syndicalisme tunisien. Ce serait trop simple — et trop productif, justement. La débâcle de l’UGTT est aussi le résultat d’un environnement politique qui a méthodiquement vidé les corps intermédiaires de leur substance. Mais le résultat est implacable : un monde du travail sans boussole, sans récit, sans moteur collectif.En 2025, la Tunisie semble avoir inventé un modèle unique : une société où tout le monde travaille, mais où personne n’y croit. L’UGTT, jadis force de structuration et de conflit utile, n’est plus ni frein ni moteur. Elle est le symbole d’un divorce national entre le travail et l’espoir.
Et tant que ce divorce sera maquillé en débat économique, la productivité restera ce qu’elle est : le reflet fidèle d’un pays qui n’attend plus grand-chose de lui-même.







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