Tunisie|Fmi : révélations inquiétantes dans la lettre cosignée par Chahed et Ayari le 29 mai 2017

Asef Ben Ammar (*)
Le Chef du gouvernement Youssef Chahed et le Gouverneur de la Banque centrale Chedly Ayari ont signé conjointement une lettre adressée à Mme Lagarde (Présidente du FMI), le 29 mai 2017. La lettre explicite et quantifie les engagements de la Tunisie face aux exigences et recommandations du FMI. Le tout pour accéder à la deuxième tranche du prêt FMI.
Le Chef du gouvernement Youssef Chahed et le Gouverneur de la Banque centrale Chedly Ayari ont signé conjointement une lettre adressée à Mme Lagarde (Présidente du FMI), le 29 mai 2017. La lettre explicite et quantifie les engagements de la Tunisie face aux exigences et recommandations du FMI. Le tout pour accéder à la deuxième tranche du prêt FMI.

Au risque de froisser les autorités tunisiennes, le FMI a dévoilé le 10 juillet 2017 le contenu de la lettre et de ses annexes

La lettre et ses annexes sont accessibles en ligne, dans le document référencé IMF Country Report No. 17/203


Comme d'habitude les médias officiels et les élites tunisiennes ont passé sous silence ces engagements et mauvaises nouvelles pour la Tunisie.
Merci aux services de communication du FMI pour leur transparence et sens éthique.
Révélations officielles du FMI
D'une centaine de pages, le document rédigé en anglais (uniquement) présente une dizaine de tableaux déchiffrant en détail les engagements de la Tunisie... document introuvable sur aucun des sites ministériels du gouvernement Tunisie, mais aucun!
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Ne pouvant rentrer dans les détails immédiatement (une autre chronique suivra), la suite de cette note passe en revue les engagements écrits et cosignés par Chahed et Ayari, il y a moins de 5 semaines.

Mesures budgétaires et fiscales
1- Le gouvernement s’engage à libérer de leur travail, d’ici janvier 2018, entre 20 000 et 25 000 fonctionnaires (p. 63 du document). Ces départs seront négociés et/ou inscrits dans le cadre de mise à la retraite anticipée.
2- Le gouvernement gèle les augmentations salariales des fonctionnaires d’ici 2019-2020.
3- Le gouvernement réduira la masse salariale pour la passer de 14,1% du PIB à 12, 1% du PIB d’ici 2019.
4- Le gouvernement arrête le recrutement de fonctionnaires dans la fonction publique (éducation, santé, administration, etc.) et remplace uniquement un fonctionnaire sur 4 ayant quitté la fonction publique (p. 63).
5- Le gouvernement mettra en place un programme de gestion axée sur la performance dans 5 sociétés d’État (Tunis Air, STEG, STIR, Offices des Céréales et la Régie du Tabac.). Ces contrats de performance seront suivis et leurs résultats seront périodiquement rapportés au FMI.
6- La mise en œuvre progressive de processus d’évaluation de l’efficacité des mesures fiscales, avec le soutien d’experts américains financés par l’USAID (p.61).

7- Les investissements gouvernementaux (publics) progresseront au maximum de 1% au total, d’ici 2020 (p59), pour plafonner à 6,5% du PIB. Ce point indique un arrêt drastique des approches proactives (go vs Stop) visant la relance de la croissance grâce aux dépenses publiques (infrastructures, aménagement, grands travaux, etc.). Une période d’austérité est donc annoncée par le gouvernement, et révélée dans ce document.
8- Le gouvernement transfère l’équivalent de 0,5% du PIB aux caisses de retraite et sécurité sociale (CNRPS et CNSS) pour éviter le défaut de paiement, voire la faillite de ces institutions très déficitaires, y compris la CNAM (p.60).
Mesures monétaires
9- Le gouvernement et la Banque centrale engagent une politique de restriction monétaire, en augmentant le taux directeur à 5% (déjà fait) et davantage le cas échéant, si l’inflation continue à grimper de façon incontrôlée.
10- Le gouvernement et la Banque centrale adoptent un taux de change flexible, signifiant de facto la dévaluation continue du dinar. Contrairement aux annonces faites par le ministre Rajhi sur plusieurs chaines de radio, le document révélé démontre que l’engagement du gouvernement est fait sur recommandation explicite du FMI, comme indiqué dans les pages 12, 13, 14 et 66, du même document. Le dinar a déjà perdu plus 11% de sa valeur depuis mars 2017.
11- Dans le document cosigné par Chahed et Ayari, la Tunisie s’engage à transférer sur une base mensuelle 30 indicateurs économiques et financiers sensibles aux instances du FMI (p.83, 84 et 85). L’INS, le ministère des Finances, le ministère de l’Énergie, la Banque centrale, etc. sont concernés par cette réédition de compte systématique des indicateurs aux instances du FMI. Certains indicateurs sensibles sont communiqués au FMI de façon hebdomadaire.
Ces informations sensibles méritent davantage d’analyses approfondies, et requièrent des explications de la part du Chef du gouvernement. Il faudra creuser davantage le document qui contient d’autres informations sensibles, non rapportées dans cette chronique, faute de temps. Un autre texte suivra durant les prochains jours à ce sujet.

Les propos récemment tenus par le ministre Rajhi aux médias sont contredits par ce document. Ce qui en dit long sur les réelles difficultés économiques et financières de la Tunisie.
Mais, pas seulement, ce document révélé en dit long aussi sur le manque de transparence et le recours à la rétention de l’information, voire même la déformation de l’information par les autorités tunisiennes, notamment au sujet de divers dictats imposés par le FMI à la Tunisie (dévaluation du dinar, attrition de fonctionnaires, etc.).
Asef Ben Ammar Ph.D.
Analyste en économie politique
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