Tunisie : le spectre politique gauche-droite dévoilé par un sondage international

Asef Ben Ammar (*)
De nouvelles statistiques sont désormais accessibles et permettant de comprendre comment le spectre politique gauche-droite se déploie en Tunisie. Ces statistiques aident aussi à voir plus clairs les clivages politiques, leur ligne de partage et leur ancrage dans la société tunisienne. Ces données statistiques font l’objet de cette chronique. Mais avant de les présenter et les commenter, il convient de contextualiser relativement à la nature, l’utilité et la portée de ces nouvelles statistiques, fort éclairantes sur l’échiquier politique et les réservoirs de votes politiques en Tunisie.
De nouvelles statistiques sont désormais accessibles et permettant de comprendre comment le spectre politique gauche-droite se déploie en Tunisie. Ces statistiques aident aussi à voir plus clairs les clivages politiques, leur ligne de partage et leur ancrage dans la société tunisienne. Ces données statistiques font l’objet de cette chronique. Mais avant de les présenter et les commenter, il convient de contextualiser relativement à la nature, l’utilité et la portée de ces nouvelles statistiques, fort éclairantes sur l’échiquier politique et les réservoirs de votes politiques en Tunisie.
Données utiles pour comprendre le paysage politique
Depuis l'avènement de la démocratie post-2011, les partis politiques les organisations à vocation politique se sont multipliées de façon exponentielle, et parfois de façon chaotique et fragmentée mixant des idéologies politiques parfois incompatibles et d’autres fois importées d’ailleurs et sans véritables emprise dans la société. En quelques mois seulement (2011-2012), la Tunisie est passée d'un système autoritaire monopartisan (un parti domine et détient le pouvoir) à un pays ayant un système multipartis avec plus de 115 partis


Ce foisonnement de partis politiques est accompagné par un morcellement des idéologies prônées; rendant plus difficile le positionnement des idées soutenues et des projets politiques sur le conventionnel spectre gauche-droite. Il faut rappeler que ce spectre gauche-droite remonte au temps de la Révolution française (1789); quand la Gauche était constituée de ceux qui étaient contre l’ordre établi par le Roi et la Droite constituée de ceux qui l'appuyaient. Ceux qui se mettaient au Centre de l’Assemblée sont ceux qui cherchaient à garder un certain équilibre mitoyen et centriste, entre les deux versants contrastés d’une Assemblée, reflétant un échiquier politique divisé entre clan de la gauche et clan de la droite.
Aujourd’hui, les traditions démocratiques en Tunisie commencent à s'installer progressivement (seulement depuis 2011), et les citoyens et citoyennes prennent goût à la vie politique et sont désormais, et dans une large mesure capables de placer leurs pensées et aspirations politiques le long du spectre gauche-droite; sans oublier le centre, comme position mitoyenne et médiane.
Un échiquier politique dominé par le Centre
Comme souligné précédemment et pour donner une idée sur le spectre gauche-droite, il a fallu recourir aux données du sondage de la WVS (World Value Survey) rendu public récemment, avec une collecte de données faite il y a une douzaine de mois. Paradoxalement, et malgré les turbulences politiques en Tunisie et la multiplication des élections et affrontements partisans, le gouvernement tunisien ne dispose pas de données statistiques sur l’échiquier politique (Gauche, Centre et Droite). En même temps, les institutions responsables ou productrices de statistiques en Tunisie (INS, maisons de sondage, universités, administrations dédiées, etc.) n'ont pas jugé utile de mener des sondages sur les perceptions et les réalités partisanes et le positionnement des idées politiques en Tunisie.
Les données de sondage de la WVS


Pratiquement, 35% des 1205 répondants tunisiens ont avoué ne pas savoir où positionner leurs idées dans le spectre politique gauche-droite (contre 65% ayant pu se positionner sur ce spectre).
Ainsi, les données du sondage suggèrent que 56% des répondants situent leurs pensées et ambitions politiques au Centre, contre 12% comme étant de Gauche et 32% comme étant de Droite.
Le sondage de la WVS a interrogé 1205 répondants âgés de 18 ans et plus, en leur demandant de positionner leurs pensées et idées politiques sur un continuum allant de 1 (pour l'extrême gauche) à 10 (pour l'extrême droite), et dont le centre prend la valeur de 5. Le graphique ci-dessous présente cette distribution centrée (unimodale dans le jargon politique), avec des ailes légèrement asymétriques. Les données suggèrent que les citoyens qui se jugent de droite sont presque trois fois (32%) plus nombreux que ceux qui se jugent comme étant de gauche (12%).
En même temps, et dans le même graphique, on constate que l’extrême gauche (le premier décile du spectre) concerne seulement 3% (des répondants), contre 6,6% pour l’extrême droite (le dernier décile du spectre).

Un portrait-robot à grand trait
Les données du sondage WVS permettent de mener des croisements (intervariables et intergroupes) visant à faire un portrait-robot de la Gauche versus la Droite. Des variables démographiques et socio-économiques sont utilisées à cette fin. Comparé à un adepte des idées de la Droite, un adepte de la Gauche serait de manière générale, un citoyen ne pratiquant pas de manière systématique les recommandations de la religion, ayant un niveau d'éducation relativement plus élevé, plus jeune et davantage issu des milieux urbains. La proportion des femmes se réclamant d’idées de gauche est de 33% (contre 66% d’hommes), alors que la proportion des femmes se réclamant des idées de droite est de 37% (63% d’hommes). Les femmes sont mieux représentées dans le groupe des centristes, avec une proportion de 41%.
En moyenne, les répondants de la Droite regroupent des citoyens pratiquant une religion de façon régulière, incarnant des valeurs dites conservatrices. En moyenne, les répondants de la Droite se différencient de ceux de la Gauche (et de manière statistiquement significative) au regard de plusieurs items mesurant la tolérance face au concubinage, à la fréquentation des étrangers, à la consommation de l’alcool, à la présentation dans le voisinage d’homosexuels, de non-pratiquants, de malades atteints du SIDA, etc. Ces répondants sont aussi en moyenne très différents comparativement à ceux de la gauche au regard de l’emploi salarié des femmes, en contexte de chômage, préférant donner les emplois aux hommes plutôt qu’aux femmes.
Les candidats aux élections municipales sauront à quoi s’en tenir!
Les données présentées montrent que le spectre politique est, malgré tout unimodale (un seul mode statistique), soit un spectre centré dans une forte proportion (56%), avec des extrêmes minoritaires deux fois plus convoités à droite qu’à gauche. Ce résultat explique certainement le rapprochement partisan et la convergence atypique entre Nida Tunes et Ennahda. Les deux partis veulent garder le pouvoir, pour ce faire conquérir les votes au Centre de l’échiquier politique; aucun des deux n’ose se distancer du Centre, ce carrefour et passage-obligé pour le pouvoir.
Le Centre du spectre gauche-droite reste un réservoir majeur pour l’électorat, et certainement les idées proches de celles du Centre et loin des extrêmes auront plus de chance de mobiliser l’électorat que celles des extrêmes. Au vu de ces résultats, les politistes et experts de la vie politique en Tunisie vont conseiller les partis politiques, même ceux des extrêmes à faire campagne avec des idées centristes et avec des candidats nouveaux, rassembleurs et pas porteurs de projets clivants et diviseurs.
Certains observateurs (tunisiens et internationaux) continuent de croire que la Tunisie est pays de Centristes prompts pour le juste-milieu; et point un pays d’extrémistes. Ils ont raison, le sondage soutient ce postulat!

Aussi, la classe politique apprend de ces données que pratiquement 35% des citoyens et citoyennes sont encore indécis dans leur positionnement partisan sur le spectre politique. Il s’agit d’un réservoir politique (encore en friche) qui sera plus facile à conquérir, après identification de ses attributs et caractéristiques, notamment par davantage de recherches scientifiques et de sondages d’opinion.
Des analyses additionnelles sont prévues prochainement dans ce cadre de préoccupations partisanes et de leurs déterminants (signées par le même auteur, et sur le site Babnet). Ces analyses seront publiées dans une série de chroniques fondées sur des données statistiques traitant des perceptions des citoyens tunisiens face à la démocratie, face à l’État, face aux médias et face à la confiance dans les institutions.
Asef Ben Ammar, Ph. D.
Analyste en économie politique
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