La Banque Mondiale octroie 100 millions de $US à la Tunisie : une excellente nouvelle pour les femmes rurales du Nord-Ouest et du Centre!

Asef ben Ammar
Dans un communiqué paru samedi dans The Financial, la Banque mondiale octroie à la Tunisie un financement de 100 millions de $US, pour financer un projet d’aménagement forestier et rural dans les régions du Nord-Ouest et du Centre. Le communiqué annonce explicitement que ce prêt vise prioritairement les femmes et populations défavorisées, présentes avec une densité élevée dans ces régions précaires et laissées pour compte par le gouvernement central.

Que faut-il retenir du communiqué ?
1. La Banque mondiale communique ce financement dans le cadre d’une orientation visant à lutter contre la pauvreté, contre les méfaits des changements climatiques sur les ressources naturelles qui procurent l’essentiel des denrées utiles pour le bien-être de populations rurales vivant de l’agriculture, des forêts et de l’élevage (viande, lait, laine, etc.). Le financement annoncé doit avoir des effets sur l’emploi et la productivité, avec des impacts probables sur 25000 d’emplois concernés : emplois saisonniers et principalement intensifs en activités manuelles de conservation des sols et de replantation du couvert végétal. http://documents.worldbank.org/curated/en/313391484669298391/pdf/PID-Appraisal-Print-P151030-02-17-2017-1487355854204.pdf

2. Il s’agit d’un projet d’aménagement intégré de zones pastorales et de production de données analytiques permettant de mieux éclairer la prise de décision politique optimisant les schémas techniques d’aménagement, la mise en place de nouvelles normes institutionnelles et managériales basées sur l’implication des parties prenantes rurales et locales. Le financement soutient ainsi que l’aide à la décision managériale doit profiter de ce projet.
3. Selon le communiqué, le financement permettra l’introduction des mesures visant à acclimater la conception des politiques forestières avec une valorisation des chaines productives au niveau des communautés locales, dans un contexte de changement climatique. Le communiqué annonce que le projet vise principalement les femmes, jugeant sans réserve que celles-ci constituent la moitié de la force de travail en milieu rural en Tunisie, et presque 80% dans les régions du Nord-Ouest et du Centre de la Tunisie.
4. Selon les estimations avancées, le coût de la déforestation et dégradation de ces régions frôle les 50 millions $US par an (14 millions $US par an en déforestation et 36 millions en dégradation). Le financement ainsi procuré s’inscrit, selon le communiqué, dans le cadre de la stratégie Tunisie de la protection des ressources naturelles et la promotion d’une économie verte, grâce à la valorisation du travail de la femme qui assure l’essentiel des travaux agricoles dans ces régions précaires.
5. Le communiqué souligne que ce financement aidera à démocratiser les décisions de management des terres pastorales et forestières pour donner plus de poids à davantage de participation locale et féminine. Le Ministère de l’Agriculture est désigné comme le partenaire responsable du projet, mais avec le contrôle d’un comité de pilotage qui sera créé pour suivre et pour évaluer dans chaque gouvernorat concerné, les travaux et les progrès. Ce comité impliquera surtout des femmes et des jeunes ruraux issus et vivants dans les régions concernées.
Que faut-il retenir de la conception de ce projet et de son prêt ?
6. Non, il ne s’agit pas de don, mais plutôt d’un prêt dont les détails ne sont pas explicites dans le communiqué, mais ailleurs sur le site de la Banque Mondiale. Le projet financé porte le titre de « Tunisia-Integrated landscapes management in lagging regions projet», et porte le numéro identitaire (ID) de P151030. Les financements viennent de la Banque mondiale et d’autres financements non-bancaires, selon la page du projet déjà en ligne. http://documents.worldbank.org/curated/en/313391484669298391/pdf/PID-Appraisal-Print-P151030-02-17-2017-1487355854204.pdf


7. Le projet s’échelonne sur 32 ans, avec un délai de grâce dans le remboursement de 6 ans. Le prêt porte sur un total de 100 millions $US, à rembourser avec un taux d’intérêt variable allant de 2,6% aujourd’hui, à bien plus si les taux d’intérêt sur le marché mondial viennent à augmenter (comme le présage les augmentations récentes du taux directeur de la Réserve fédérale américaine). La contrepartie du gouvernement tunisien est de 32,34 millions de $ US, et la participation locale dans les régions est de 10 millions de $ US. Le prêt sera remboursé en $US (et donc avec davantage de dinars si l’inflation et les dévaluations continuent à sévir en Tunisie).
8. Il s’agit d’un prêt qui s’inscrit dans les priorités de la Banque mondiale et qui ne laisse aucune marge au gouvernement tunisien pour utiliser ces montants à sa guise et pour d’autres projets jugés, par ailleurs prioritaires par le Ministre ou son Chef de gouvernement.
Quel message pour le gouvernement actuel ?
9. Les organismes internationaux d’aide au développement à la Tunisie prennent leur décision en jugeant par eux-mêmes la réalité sur le terrain et l’ampleur des besoins et des acteurs locaux, dans ces régions précaires et qui subissent une guérilla menée par les terroristes, depuis voilà plus de 4 ans.

10. Sans l’implication internationale, le gouvernement tunisien aurait très probablement réorienté ces montants vers ses priorités partisanes, ses agendas électoralistes et ses autres dépenses ostentatoires. Les organismes internationaux ne font plus confiance à la gestion des deniers publics par des gouvernements et ministres jugés implicitement incompétents, corruptibles ou très politisés.
11. Les organismes internationaux préfèrent aider les populations dans les régions, les femmes particulièrement, ayant perdu pas mal de confiance dans les administrations centralisées, très peu transparentes et très peu ouvertes aux bonnes pratiques de gestion et ses impératifs en termes d’évaluation.
12. Il suffit d’observer la célérité de la transparence : le communiqué a été mis en ligne il y a seulement 24 heures, et toute l’information est déjà sur le site Web de la Banque Mondiale. On peut se demander, quand nos ministres, nos fonctionnaires s’éveillent-ils pour jouer le jeu de la performance et de la transparence.
13. Ultimement, ce sont les enfants et les petits enfants de la Tunisie d’aujourd’hui qui vont payer ce prêt, l’endettement et la frivolité maladifs chez leurs parents! Oui vous et moi, lecteurs et rédacteur de cette chronique, nous sommes dépensiers et irresponsables par nos choix et nous élus au gouvernement actuel !
14. Merci à la Banque Mondiale de cette transparence, de cette magistrale leçon de gestion axée sur les résultats; parfaitement en phase avec les impératifs de promotion des droits de la femme et des populations démunies dans les régions précaires. L’ENA de Tunis doit s’interroger sur le pourquoi que ses fonctionnaires formées ne sont pas capables de faire autant. L’ENA doit considérer ce cas, comme un projet exemplaire; méritant une étude de cas approfondie au niveau de sa conception, de sa planification axée sur les résultats et de sa communication à temps, de façon intelligente, transparente, rigoureuse et prospective.
Asef ben Ammar, Ph. D.
Analyste en économique politique
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