Mehdi Jomaa : Le Bilan ?

Par Hatem Boulabiar
Un chiffre a aiguisé ma curiosité dans le discours du président de la république Béji Caid Essebsi du samedi durant lequel l'état d'urgence a été décrété.
Un chiffre a aiguisé ma curiosité dans le discours du président de la république Béji Caid Essebsi du samedi durant lequel l'état d'urgence a été décrété.
Il a évoqué le cas d’un investissement d'un groupe étranger de 557 millions d'euros que la Tunisie aurait raté pour le bénéfice d'un pays ami.
Il n'a pas voulu dévoiler le nom du groupe ni le pays ami qui aurait raflé cet investissement colossal.
Il s'agit du groupe Français PSA (Peugeot Société Anonyme) propriétaire des marques Peugeot et Citroën. Le pays en question est le Maroc.
En effet, le 22 juin dernier, un accord entre PSA et le royaume a été signé pour l’installation par le groupe PSA d’une usine de capacité 90000 véhicules / an au Maroc.
Bien entendu, et comme l'a précisé le président lors de son discours, il n'est nullement ici question d'envier le Maroc pour cet investissement de près 1200 millions de dinars qui va créer près de 25000 emplois directs et indirects dans la région de Kenitra.
Toutefois il est de notre devoir de demander des comptes aux responsables de cet échec d’attirer les IDE (investissements directs étrangers) pourtant les voyages des officiels tunisiens n'ont pas manqué ces dernières années.
D'abord, il faut signaler que les discussions d'une implantation de PSA en Afrique ont commencé vers mi 2014. À cette époque Mehdi Jomaa était aux commandes dans le pays. J’estime que c’est l’occasion de dresser le bilan de ce Monsieur inconnu il y a deux ans par la majorité des tunisiens et qui bénéficie jusqu’ici de la clémence des journalistes (ou plutôt son fun club). Ce qui implique automatiquement une opinion publique favorable. La recette étant bien connue chez les pro de la com. Vous prenez un personnage public comme un chef de gouvernement ou président de république. Vous ajoutez un cessez le feu médiatique envers cette personnalité. En parallèle vous bombardez par les armes de destruction massive médiatique tous les autres prétendants. Vous obtiendrez mécaniquement une opinion favorable pour l’heureux élu.
Revenons au cas de l’implantation de PSA à Kénitra. Cet investissement est significatif puisque à lui seul, il aurait augmenté les IDE en 2014 de 70%.
Mehdi Jomaa a été installé comme chef de gouvernement le 29 janvier 2014. Il a quitté El Kasba le 6 Février 2015.
Il a donc passé 1 an et 8 jours. Faisons le Bilan.
Commençant par ses capacités d’attirer les investissements. Selon les chiffres de la FIPA, les IDE en 2014 ont régressé de 5,8%. Pourtant à chacun de ces voyages qu’il a effectués à l’étranger, son fun club de journalistes nous chuchotait à l’oreille les résultats exceptionnels de ces visites et les retombées sur les IDE et l’économie tunisienne.

Avril 2015- Mehdi Jomaa et Taoufik Jelassi rencontrent des activistes de la société civile
Enumérons ces visites. Pendant son séjour à El Kasba, Mehdi Jomaa a effectué 20 voyages !! En effet 20 voyages en 12 mois et 8 jours. Soit un voyage toutes les semaines et 2 jours !
Dont 5 voyages (Maroc Sénégal, France, USA et France) effectués après la proclamation des résultats des élections de 2014. Après les élections, il était censé gérer les affaires courantes en attendant la passation. En l’occurrence le voyage effectué le 6 et 7 janvier 2015 aux Etats Unis, a étonné plus d’un observateur. En effet quel est l’intérêt d’effectuer un déplacement sachant que les officiels du pays visité préfèrent discuter avec le nouveau pouvoir et ne nullement perdre leur temps avec un partant.
Donc 20 visites en 1 an ! Voyons où il s’est baladé le coquin ?
Février 2014 : Algérie


Mars 2014 : Emirats







Avril 2014 : France

Mai 2014 : Algérie

Juin 2014 : Allemagne


Juillet : Algérie

Août 2014: Vacances ( repos du guerrier ou du voyageur)
Septembre 2014 : pas de voyage à cause de l’évènement ‘’Invest In Democracy’’ colloque international pour attirer les investisseurs. Et pour quel résultat !!
Octobre 2014 : Suisse

Novembre 2014 : Maroc


Décembre 2014 : Pas de voyage. Se mettre à la disposition d’Essebsi en cas où il est reconduit.
Janvier 2015 : (reprise des voyages. Essebsi a nommé Essid) : France (le 5 janvier), USA(le 7 janvier) et encore une fois La France (le 11 janvier).

Quel est le Bilan de toutes ces visites en dehors des points miles sur la carte de fidélité d’ibn Battouta ? une croissance économique maigre de 2,3 %. (soit la plus faible depuis 2011. Contre 3,6% en 2012 et 2,6% en 2013). Pourtant La Tunisie a connu une relative accalmie politique en 2014.
J’ai eu l’occasion récemment de discuter avec un membre de son fun club de journalistes. Il admet que le bilan de leur chouchou est faible économiquement. Par ailleurs, il avance l’argument que sa principale mission était d’organiser les élections législatives et présidentielles de 2014. Et il a réussi. Je rappelle que les élections étaient organisées par l’ISIE. Et si vraiment il était concentré sur ces élections, alors pourquoi tous ces déplacements inutiles à la bonne exécution des élections.
D’ailleurs le pays était en pilotage automatique en 2014 pendant qu’Ibn Battouta explorait le Monde à la récolte de carnets d’adresse.
Le fun club aurait répliqué que le pays était en transition démocratique et que les investisseurs trainaient les pieds pour venir. Si c’est vrai alors pourquoi on a eu des investissements de près de 2000 millions de dinars en 2013 et 1878 millions de dinars (régression de 5,8%) en 2014.
Autre point, si notre pays est si instable. Comment expliquer que la Tunisie a pu lever 1 milliard de dollars en janvier 2015 (soit 1950 millions de dinars).
Je pense que le problème est ailleurs. Il s’agit de la capacité de s’effacer devant l’intérêt général et d’incarner l’habit d’un homme d’état au détriment des calculs carriéristes et des tentations diverses.
Pour étayer ce qui précède, je prends l’exemple du ministre des finances grec Yanis Varoufakis qui vient de démissionner ce matin même. Pourtant hier son parti Syriza a gagné le référendum refusant le plan de sauvetage des créanciers.
«Je porterai le dégoût des créanciers avec fierté», a déclaré Yanis Varoufakis . Cela veut dire que Yanis a tellement négocié avec les vautours de la BM ( banque mondiale), FMI ( Fond Monétaire International) et l’UE ( Union Européenne) que ces derniers ne pouvaient plus le supporter pour la suite des négociations d’après le non au référendum. Mais il aura rempli son rôle de commis d’état dans l’intérêt général du peuple grec.
Je doute fort que ce ministre aura une chance de décrocher un poste dans une institution internationale type BM ou ses dérivées. Il a montré une capacité de s’effacer pour la cause de son peuple grec.
Si on revenait à nos moutons voyageurs en Tunisie où on a vu le ministre des affaires étrangères dans le gouvernement de Mehdi Jomaa courir accueillir l’ambassadeur des Emirats à l’aéroport de Carthage ce qui est contraire aux protocoles diplomatiques. Le fun club aurait répliqué que c’était pour l’intérêt de la Tunisie. Et ils sont où les investissement de ce pays depuis ? par contre on a vu ce même ministre décroché un job bien rémunéré à l’ONU bien qu’il soit encore ministre de la Tunisie.
Que fallait il faire pour décrocher un investissement comme celui de PSA en Tunisie ?
Mehdi Jomaa aurait pu menacer de suspendre ( ou du moins diminuer) l’importation de véhicule du constructeur PSA. D’autant plus cette marque détient la première place en terme de part de marché en Tunisie.
Il aurai été voir le concurrent direct de ce constructeurs en Chine ou en Inde par exemple pour attirer un investissement d’une usine de construction automobile et d’offrir une part importante du marché local ( soit 70 000 véhicules/an). Et ce n’est pas RIEN. Car l’usine de Kénitra a une capacité de 90 000 véhicules/an dont 20% du marché local ( soit 18 000 unités).
D’ailleurs les responsables tunisiens auraient dû montrer leur mécontentement d’autant plus que la France a installé il y a deux ans une usine Renault au Maroc. S’ils veulent nous aider vraiment qu’ils fassent un effort et venir investir chez nous au lieu de nous suffoquer par des prêts au taux usuriers.
S’ils sont vraiment sincères pour nous aider à combattre le terrorisme, qu’ils viennent créer des emplois décents chez nous. Une usine crée un écosystème avec les sous-traitants et ces 25000 emplois, on pourra éradiquer le risque pour qu’un jeune étudiant bascule dans l’abime. Car il aura décroché un emploi décent et fondé une famille.
C’est ce langage que Mehdi Jomaa aurait dû tenir face à ces interlocuteurs dans ces 20 voyages au lieu de distiller des paroles mielleuses qui ne serviront que son carnet d’adresse, sa carrière et ses points Miles.
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