L’administration publique en Tunisie; une pomme de discorde entre le FMI et le gouvernement

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Asef Ben Ammar (*)


Pléthorique, asthénique, archaïque, boulimique... ne sont que quelques-uns des adjectifs qui collent à la peau de l’administration publique en Tunisie. De nombreux observateurs vont jusqu'à dire que si la démocratie post-2011 tardait à donner ses fruits, à améliorer le bien-être collectif et à relancer les incitatifs de l'investissement, c'est avant tout par ce que la Tunisie n’arrive pas à moderniser son administration publique, et ce pour la mettre au diapason des ambitions économiques escomptées.




Les chiffres sont parlants et leur écho est assourdissant. La fonction publique tunisienne emploie plus de 850 000 employés, soit autant que le Maroc qui compte pourtant trois fois plus d'habitants. Elle gruge quasiment l’équivalent de 15% du PIB, se permet un absentéisme effarant et des retards incroyables dans la gouvernance de la prestation du service public. L’administration publique continue à abriter les plus réfractaires à l’émergence d’une Tunisie prospère et moderne.

Le FMI est à la Casbah (ministre des Finances) depuis une semaine (selon la Ministre responsable). Le FMI s'inquiète pour les sommes qu'il prête à la Tunisie et souhaite ardemment la modernisation de l’administration publique pour réduire la taille de l'État et faire mieux avec moins. Le tout pour optimiser l’utilisation des recettes publiques et arrêter à surtaxer inutilement les citoyens et les investisseurs.

L'Institut arabe des Chefs d'Entreprises organise aussi le 6 avril, une journée de réflexion sur le sujet de l’administration publique tunisienne et les impératifs de sa modernisation. Les chefs d'entreprises opérant en Tunisie trouvent dans leur quasi-majorité que le fardeau de l’administration est lourd à porter, tant il est générateur de pervers et de freins pour la reprise économique qui tarde à venir.... Notamment en raison des réflexes des hauts fonctionnaires (collusion, corruption, procrastination, etc.) et des résistances à l’adoption d’un nouveau management public axé sur les résultats, plutôt que sur les processus.


Dans ce cadre, je vais aller plus loin que le diagnostic et je présente sommaire une batterie de balises et de pistes de solutions :

1- L’attrition de l’Administration publique tunisienne est un mal nécessaire. Une telle attrition des effectifs doit cependant, se faire dans le cadre de règles objectives respectant les valeurs éthiques et les impacts associés dans le contexte de la Tunisie. Les effectifs pléthoriques de chaouchs, de chauffeurs, de secrétaires, de commis, petits chefs… (dont certains n’ont même pas de bureau dans l’édifice; leur bureau est dans le café en face) doivent être libérés, mais pas n’importe comment. Une telle attrition peut se faire par un remplacement sur trois, de tous ceux qui partent à la retraite ou vers d’autres secteurs d’activité. Un minimum de 150 000 fonctionnaires est libérable sans trop de conséquences sur l’efficacité de notre service public, et dans les plus brefs délais. Des mesures d’accompagnement doivent aider à la réinsertion et à la prise en charge éventuelles de ceux qui sont dans le besoin.

- Dans l’Administration publique tunisienne, le temps est venu pour créer une zone tampon (dans les structures et organigrammes ministériels) entre les ministres élus/cabinets des ministres (acteurs partisans) et les activités des fonctionnaires/commis de l’État. Une telle approche est en vigueur dans les administrations anglo-saxonnes, et où le Ministre est talonné par un Sous-ministre apolitique (non élu), chargé de la gestion des relations douteuses entre le monde politique et celui des fonctionnaires, censé être neutre et protégé des pressions et dictats des lobbyistes et groupes d’intérêts.

- En plus de l’attrition, l’administration publique tunisienne a besoin d’une vraie école supérieure d’administration et de gouvernance. La formation continue constitue la clef de voute. Aujourd’hui, l’ENA de Tunis est devenue une relique préhistorique, un vestige de par ses formations, son texte de création (décrété par la France coloniale), avec les manques de moyens observés et l’incapacité patente de mener la rénovation de la fonction publique. Des vrais programmes de formation et de sensibilisation doivent être initiés par des universitaires, et pas par de vieux fonctionnaires à la retraite qui reproduisent, les yeux fermés, les schèmes d’administration à la française (reproduits sur des notes jaunies par le temps, datant des années 1970) et dépassés par l’histoire. Mes respects vont aux plus méritants et plus performants. L’administration a besoin de l’innovation, d’une relève brillante, ouverte à l’expérimentation, à la créativité en continu et dans la transparence. Et comme la sagesse sociale «on ne fera pas du neuf avec du vieux», tant et aussi longtemps que l’ENA est sclérosée et télécommandée par les vieux réflexes bureaucratiques, l’Administration publique continuera à agoniser sans aides ni secours.

- Encadrer les activités des lobbyistes qui font affaire avec les fonctionnaires, et opter pour un système qui reconnait ces influences impossibles à contrer de façon passive. Les groupes d’influence ne peuvent être abolis par décret ou par des discours électoralistes sur un plateau de télévision privée. Dans de nombreux pays anglo-saxons et germaniques, un registre de lobbyistes est instauré, et chaque fois qu’un ministre et un lobbyiste se rencontrent, ceci doit être su, documenté et diffusé au grand public. La non-conformité à ces règles constitue une raison de limogeage du ministre.

- Instaurer une règle d’évaluation de performance des Ministres et Secrétaires d’État, qui commence par une définition de leur mandat et priorités d’actions (précisément), avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs dans le court et le moyen terme. Et communiquer ces mandats au grand public.

- Dans la même veine, instaurer une planification stratégique trisannuelle pour chacune des 3000 entités de l’administration publique, et ce pour définir les orientations, les objectifs, les moyens et les résultats à atteindre de façon mesurable et se prêtant à la vérification dans le cadre de rapport annuel accessible au public.

- L’Administration publique a besoin d’une directive gouvernementale imposant la culture de l’évaluation et de la révision des programmes et politiques publiques. Les organisations et les programmes doivent être évalués périodiquement de manière à mesurer les défaillances et les résultats obtenus.

- Le Ministère de Finances doit produire une méthodologie et un mécanisme fiable permettant de voir qui sont les bénéficiaires des crédits d’impôt, des exonérations de TVA, autres cadeaux fiscaux procurés à même les taxes payées par les citoyens. Un tel rapport décrit aussi toutes les dépenses fiscales et leurs principaux bénéficiaires.

- Une nouvelle Loi régissant la modernisation de l’Administration publique doit être votée rapidement, pour régler les intrusions politiques répétées, systématiser les formations à l’éthique, légiférer sur les recrutements et promotions au mérite (par concours, critères et pas de façon discrétionnaire), réhabiliter l’image du fonctionnaire, imposer les équipements requis (bureau, fourniture, bureautique, chauffage, salubrité, etc.), gérer les conflits d’intérêts et redonner confiance aux citoyens dans le service et le bien public.

Le lustre de l’Administration publique, ou ce qu’il en reste, a été sévèrement amoché par les propos, comportements et incompétences de nombreux hauts fonctionnaires et ministres peu rompus aux services publics et au bien commun.

Le projet que je propose n’a pas été suffisamment porté par les gouvernements ayant géré la Tunisie depuis 2011.

Asef Ben Ammar, Ph.D.
Analyste en économie politique


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