Les Tunisiennes inquiètes quant à leurs acquis

Les militantes des droits de la femme en Tunisie se disent inquiètes de voir le gouvernement fermer les yeux sur l'augmentation des signes ostentatoires religieux dans les rues de Tunisie.
Alors que la Tunisie célébrait ce dimanche 8 mars la Journée Internationale de la Femme, la question des droits et des libertés des femmes dans le pays est latente, entraînant des controverses entre militantes et autorités politiques et religieuses.
Alors que la Tunisie célébrait ce dimanche 8 mars la Journée Internationale de la Femme, la question des droits et des libertés des femmes dans le pays est latente, entraînant des controverses entre militantes et autorités politiques et religieuses.
Par Jamel Arfaoui - Magharebia -
Certaines affirment que les progrès accomplis dans le domaine de l'égalité et des libertés des femmes, considérées comme centrales dans la société tunisienne, sont en danger. Le gouvernement est moins strict sur certaines questions touchant les femmes, comme le port du hijab, affirment-elles.
"La tendance générale n'est plus très claire dans ce domaine", explique Bochra Bel Haj Hmida, militante des droits de la femme et ancienne présidente de l'Association des Femmes Démocrates. "Nous ne savons plus exactement quelle société le gouvernement souhaite mettre en place. Il semble que le fait de fermer les yeux sur le port du voile soit l'un des aspects de ce retrait. Il s'ajoute au fort retour de la religion, non en tant que forme de dévotion, mais plutôt comme référence à la conduite des affaires de la vie quotidienne et à la promotion de l'extrémisme."
Le voile est l'un des sujets les plus controversés entre islamistes et partisans de la laïcité en Tunisie. Au vu de l'accroissement de la mouvance islamiste dans les années 1980, le ministère de l'Education avait publié un décret en 1982, connu sous l'appellation de "Circulaire 108", qui interdisait le port du voile dans les écoles et les universités. Cette interdiction avait par la suite été étendue à l'ensemble des institutions publiques.
Depuis, le débat intellectuel et politique sur le voile a été le grand facteur de division au sein de la classe politique et intellectuelle du pays.
Le gouvernement a assoupli sa position sur l'application de cette interdiction, expliquent les militantes des droits des femmes et les observateurs dans le pays. Cela est le signe d'une détérioration dans le domaine des droits des femmes et des progrès accomplis, ajoutent-ils.
"Les Tunisiens peuvent-ils encore se prévaloir d'être les pionniers de la modernité dans le domaine des [droits des femmes] ?", se demande Bel Haj Hmida. "Nous sommes passés d'une position de leadership à une attitude de suiveurs de pays dont les femmes rêvaient des progrès accomplis chez nous."
Samira, une employée de banque, ne partage pas cet avis. Elle affirme que le port du voile, comme elle le pratique, est un choix personnel et une preuve des droits et des libertés des femmes, en plus de la valeur religieuse qu'elle y attache.
"Le verset du Coran est claire et incontestable", ajoute-t-elle. "Contrairement à ce qui est dit, je n'ai rien à voir avec la politique ou avec tel ou tel parti. Pour moi, cela tient plutôt à ce que le Créateur nous a demandé de faire."
Rafika, une amie de Samira, s'interroge elle aussi, "Le fait de se dévêtir est-il halal (permissible) ? La dissipation est-elle halal ? Nous avons le droit de porter ce que nous voulons. L'habit ne fait-il pas partie des droits de l'Homme ? Pourquoi s'en prennent-ils à ce que notre religion nous commande de faire ?"
Raja, également employée de banque, affirme pour sa part avoir peur que le fait d'accepter le voile ne soit précurseur au retrait d'autres droits et à l'acceptation de la polygamie, et à d'autres pratiques considérées désormais comme contraires aux droits des femmes.
"J'en appelle à tous les partis politiques de Tunisie pour qu'ils annoncent clairement la couleur une fois pour toutes sur ce sujet. Je voudrais pouvoir leur dire que tout peut être discuté en politique, à l'exception de nos acquis, qui nous sont garantis par le Code sur le statut des personnes."
Magharebia a tenté d'obtenir des réactions de responsables du gouvernement sur la question, mais nos appels téléphoniques sont restés sans réponse. Toutefois, le politologue Borhane Besais nous a expliqué qu'il ne voyait aucun danger pour les acquis de la modernité en Tunisie, en particulier pour les acquis des femmes.
"Je ne crois pas que ces craintes soient justifiées, en particulier dans la mesure où les acquis de la modernité en Tunisie sont reconnus par l'ensemble des composantes et des classes de l'élite, que ce soit au sein du gouvernement ou à l'extérieur", a-t-il affirmé. "Cette reconnaissance se fait en dépit de la vague d'idées réactionnaires qui connaissent certes une tendance à la hausse. La modernité profonde à laquelle est parvenue la société tunisienne restreint l'influence de cette vague à quelques aspects superficiels, qui ne risquent pas de tirer l'ensemble de la société en arrière."
Magharebia
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Video Credit : "Histoire de femme" de Feriel Ben Mahmoud (extraits)
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