Mon malaise avec Dar El Kamila, mon inconfort avec ces célébrations du 14 juillet 2025

Dar El Kamila, un lieu devenu « maudit », un nid de complotistes contre la Tunisie de l’après 2011. Ce 14 juillet 2025, 6000 convives tunisiens et français seront réunis en soirée (19h), verre de champagne à la main dans cette splendide demeure de l’ambassadrice de France en Tunisie. Dar El Kamila, à la Marsa (banlieue de Tunis), ouvre ses portes pour une garden-party exceptionnelle, qui célèbre les « vertus de la République ».
Cela dit, il y a de tout dans ce « beau monde » de convives, beaucoup d’espions, de journalistes à la solde, des barbouzes, mais aussi de vrais patriotes tunisiens innocents et naïfs face aux véritables enjeux politiques.
La célébration avec ses fastes tape-à-l’œil me pose problème, tant et aussi longtemps, que l’Ambassade de France ne respecte pas la Tunisie, et alors que dans cette même demeure ont été forgées les pires atteintes au Printemps arabe et le processus de transition démocratique de Tunisie de l’après 2011.
S’y rendre et participer naïvement aux festivités du 25 juillet, par les nationaux tunisiens (journalistes, ONG et intelligentsia mondaine) me fruste, tant il me parait illogique, inconséquent et surtout complice de ce qui se trame dans cette demeure. S’y rendre c’est comme oublier les exactions françaises depuis janvier 2011, depuis Boris Boillon, cet ambassadeur qui a tout fait pour dérailler le processus de transition démocratique en Tunisie (entre 2011 et 2012).
Mes griefs sont nombreux et j’en cite cinq. Pour dire non à ces célébrations bourrées de contradictions, pour appeler à boycotter ces festivités où se recrutent les complices et les pires agents de renseignements, par les diverses chancelleries en Tunisie.
Et on se limite ici à l’ère post-2011.
1- Nid d’espions ?
Le premier grief remonte aux propos agressifs et anti-Révolte du Jasmin, tenus par la ministre Michèle Alliot-Marie (ministre de l’Intérieur), quand elle a proposé l’expertise française à la police de Ben Ali, pour mater et réprimer dans le sang la « Révolte du Jasmin ». Alors qu’elle était reçue par des hommes d’affaires tunisiens, avec qui elle brassait de juteuses affaires (terres, devises et villas à Gammarth).
La France et ses principes républicains ne se sont jamais mis en cause pour ces intrusions colonialistes et corruptions d’État. C’est une faute politique historique que je ne pardonnerai pas à cette France baveuse et capable de tout faire pour ses intérêts mercantiles et souvent inhumains.
Cela a eu lieu, en janvier 2011, quelques jours seulement avant la fuite du dictateur Ben Ali, et alors que des centaines de jeunes étaient fauchés par les balles des snipers disparus comme par magie, pas loin des lieux des chancelleries françaises, entre autres.
Mais, la diplomatie française sous le président Sarkozy a corsé encore sa position antidémocratique pour la Tunisie, en nommant Boris Boillon, comme ambassadeur, avec mandat de dynamiter le processus de transition démocratique en Tunisie.
Celui-ci a fait des siennes et a multiplié les opérations d’humiliation et insultes contre la Tunisie : les médias se rappellent de ce James Bond qui traite les journalistes et ministres tunisiens comme des mkasnias de l’époque.
Il aurait quitté la Tunisie avec des centaines de milliers de dollars en petites coupures, la police française en a récupéré quelques 350 000 euros, mais ne les a jamais rendus à la Tunisie. M. Boillon a été jugé, mais pas emprisonné, pour raison d’État. Ce n’est pas ça la République, ce n’est pas ça le 14 juillet 1789, j’espère!
2- Lieu d’arrogance.
Dans la continuité de l’« hypocrisie » de la diplomatie française, et en février 2011, ce même Boris Boillon flanqué d’Elyes Jouini, un franco-tunisien pur produit de la formation Parigot, parachuté de Paris comme « ministre » du Gouvernement Ghanouchi, défend mordicus Boris Boillon, et se fait mener par le nez, par celui-ci pour accueillir à l’aéroport de Carthage, deux ministres français, qui ont promis un Plan Marshall français en Tunisie.
Le Franco-Comtois Boris Boillon a accueilli la délégation française à l'aéroport de Carthage-Tunis aux côtés d'Elyès Jouini, ministre chargé des réformes économiques et sociales. Ce dernier suit son « maître », sans brancher, sans honneur.
Face aux journalistes tunisiens, la ministre de l'Économie et des Finances et le ministre chargé des Affaires européennes auprès de la ministre des Affaires étrangères ont promis de tout faire relancer les relations entre la France et la nouvelle Tunisie dont la « révolution fera jurisprudence », selon Christine Lagarde.
Mais c'est surtout sur le terrain économique que les promesses verbeuses restent sans suite : « La France maintiendra, augmentera et accélérera les investissements financiers », a déclaré Christine Lagarde à l'issue d'un entretien avec le premier ministre Mohamed Ghannouchi à la présidence, au Palais de Carthage, en février 2011.
Du bluff, Laurent Wauquiez a insisté sur la nécessité de mettre en œuvre un « Plan Marshall ». « La Tunisie doit être la priorité de l'Europe et la France doit être le meilleur avocat de la Tunisie auprès de l'Union européenne ». Le ministre s'est dit « dans l'action et non dans le commentaire ».
Le voyage des deux ministres s'est poursuivi par une réception en compagnie de la communauté d'affaires française en Tunisie à la Résidence de France de la Marsa, justement à la Dar Kamila à la Marsa. Il y avait aussi tous ces « amis » de la France pour toutes les basses besognes requises dans le contexte.
3- « Intelligentsia aux ordres ».
L’Ambassade de France en Tunisie connait ses relais et elle en prend grand soin. L’ATUGE se positionne en première loge, cette association a placé dans la quinzaine de gouvernements post-2011, pas moins de 100 ministres clefs dans divers départements. L’Ambassade de France est derrière pour imposer les siens au sommet du pouvoir. Et faire valoir les diktats de la France.
L’ATUGE, c’est un organisme cofinancé par Orange-France, par le gouvernement français et surtout par l’ambassade de France en Tunisie. Une structure taillée sur mesure, pour jouer les chiens de garde des intérêts de la France coloniale.
Cette structure a été initiée par Dr Elyes Jouini, un mathématicien à la Sorbonne, qui se présente faussement comme économiste et qui a été un ministre incompétent et éphémère au début de 2011.
L’ambassade France a toujours manipulé ceux qui se sont mis sous le parasol de l’ATUGE (Association des Tunisiens des grandes écoles de FRANCE).
Les derniers procès visant des complots contre la sécurité de l’État (2023-2024) impliquent de nombreux binationaux, certains membres de l’ATUGE et d’autres ayant joué le jeu de la complicité dans les banlieues cossues de la Marsa et Sidi Bousaid. Les rencontres avec commanditaires et complotistes mandatés par la France passent forcément par Dar El Kamila.
Elyes Jouini et condisciples de l’ATUGE ont infiltré l’État, les milieux universitaires et font la pluie et le beau temps à Tunis, dans les banques, dans les ministères, dans les associations communautaires. Mais, cela c’est un autre sujet, qu’on traitera un autre jour.
Des « élites » dociles, pas loin des consignes et directives de Bernard Henri Levy qui a fait de Dar El Kamila son quartier général, pas seulement du temps de la présidence de Sarkozy.
Des branleurs et des brailleurs, agissant sous le couvert de Think Tank, et qui sont au service de la France, leur « mère-patrie ». Contre les intérêts tuniso-tunisiens, et ils agissent derrière les portes-clauses, entre autres de Dar Kamila.
4- « Des médias aux ordres ».
Premiers investissements de la France pour les premiers mois du post-2011 en Tunisie, ont été en direction de la formation et mécanisme d’aliénations des journalistes et conditionnements des médias locaux. On y promeut la francophonie, mais surtout le lavage d’esprits des Tunisiens et Tunisiennes. Boris Boillon a été champion toute catégorie dans la perversion des journalistes et médias tunisiens.
Des financements français, des lobbyistes et des ONG françaises ont été mobilisés pour dévoyer les médias tunisiens, déjà mal au point, par l’ère de Ben Ali. Le tout se passait par des formations, des rencontres, des reportages, des investigations télécommandées par les intérêts français et exécutés par des petites mains tunisiennes. Le tout passait par la Marsa et Dar Kamila.
5- Crever l’abcès!
La France représentée par son ambassadrice, actuelle doit crever l’abcès, et sortir des malentendus néfastes pour la France. Un mea-culpa ne sera pas de trop. Pour la Tunisie, le pire est derrière nous.
La France est de plus en plus proscrite en Afrique, après ses divers complots et coups d’État: en Côte-d’Ivoire, en Libye, au Tchad, au Togo, au Burkina Faso. On craint pour l’Algérie, la France est capable de tous les mauvais coups, dans ce pays voisin, dont dépendra pour beaucoup l’avenir de la Tunisie.
Trump traite de tous les noms la France et son président Macron. Plusieurs contentieux opposent la Tunisie et la France. Les quelques bus amortis, ou la vingtaine de voitures légères offertes à la Tunisie récemment au grand renfort médiatique ne changent rien dans les équations et les enjeux en présence. Toute l’expertise française, financée par la dette, n’a rien changé dans l’assainissement des eaux usées, ou la protection de l’environnement. Une aide pour la forme, une gesticulation sans évaluation des résultats.
La France traite mal la Tunisie et ses médias « massacrent » les valeurs et les ambitions des immigrants maghrébins. Des médias intrusifs donneurs de leçons à une Tunisie en difficulté et qui ferme ses portes aux émigrants africains.
Madame l’ambassadrice de France en Tunisie comme maître de cérémonie ne doit pas oublier, dans son discours, de condamner le massacre et la famine qui a lieu à Gaza.
Presque 100 000 morts, et deux millions d’affamés. Elle ne doit pas non plus oublier de se prononcer sur les contentieux en cours, comme la révélation des lieux où ont été enterrés la trentaine de résistants Youssefistes tués et enterrés dans les montagnes de Benikedach, en 1958. Leurs proches attendent des réponses, pour faire leur deuil, presque 70 ans après.
Moktar Lamari, Ph.D.
- Professeur à l’ENAP, Réseau de l’Université du Québec, Canada
- Directeur de SINERGI, Centre de recherche sur les Statistiques, Indicateurs, Évaluations des Résultats de Gouvernance institutionnelle
- Subventionné par le CRSH-Canada (Conseil de Recherche en Sciences humaines), Connexion-Savoir-Partenariat
- Subventionné par le FRQ-Québec (Fonds de Recherche du Québec), Actions concertées et Gouvernement du Québec
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