Il y a 21 ans, la tortiocratie du général Ben Ali était condamnée par le Comité des Nations Unies contre la torture pour la mort de Faysal Barakat

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Faysal Baraket


Khaled MBAREK

Il y a 21 ans, le mercredi 10 novembre 1999, le Comité des Nations unies contre la torture (CAT) rendait son verdict dans l’affaire de mort sous la torture de Faysal Baraket, que je lui avais soumise le 29 mars 1994. Soit au bout de cinq ans et demi de procédure. Par la suite, j’ai obtenu que ce verdict ne soit pas considéré comme un point final. Dans son jugement, le Comité avait formulé des demandes à l’endroit de l’Etat partie et il se devait d’en poursuivre l’exécution, sous peine de voir son autorité morale s’effriter irrémédiablement. Mais la Convention contre la torture ne prévoyait rien au-delà des Constatations. Le Comité avait ainsi définitivement établi sa jurisprudence sur ce point crucial. Faysal était le premier à bénéficier de ce suivi (Follow-up) que j’avais proposé au Comité par l’entremise de la Coalition des ONG contre la torture (CINAT). Ce processus dure encore aujourd’hui depuis l’an 2000, avec notamment des convocations à répétition de l’ambassadeur représentant permanent de Tunisie auprès des Nations unies à Genève. L’affaire Baraket est tout entière posée sur un piédestal en granit inébranlable sous la forme d’un rapport d’autopsie OFFICIEL, reconnu par l’Etat tunisien en tant que tel. Il est soutenu sur les quatre côtés par quatre rapports d’expertise médico-légale des plus éminents spécialistes du monde. De 1992 à 2011, l’affaire était parfaitement limpide et unanimement considérée comme résolue. Le pouvoir n’était à l’abri de ses conséquences que parce qu’il se barricadait derrière son emprise sécuritaire et ses contingents de tortiocrates froids et de tortionnaires sanguinaires.





Reste la grande énigme que je repose ici à l’attention des magistrats propres, de l’opinion publique, des ONGs, des ayants droit, hormis Jamel Baraket et Kacem Chammakhi, ainsi que des médias, en faillite totale sur l’affaire Baraket :
Depuis 2011, un processus judiciaire lourd et opaque est en cours. L’affaire a été ballotée dans les arcanes des palais de justice à 9 (neuf) reprises : Rapport de clôture de l’instruction قرار ختم البحث , appel devant une Chambre d’accusation دائرة الإتهام , cassation محكمة التعقيب , retour devant la Chambre d’accusation, puis en cassation… 4 X 2 fois allers-retours (Chambre d’accusation/Cassation). Cela fait neuf procédures. Sur neuf ans, cela donne une moyenne d’une année par procédure. Or, la justice classique vient à peine de se retirer conformément à la loi sur la Justice transitionnelle. Les Chambres spécialisées sont à peine en train de tâter le terrain, alors qu’elles sont sur leur troisième année d’audiences depuis 2018. L’acte d’accusation de l’IVD لائحة الإتّهام, censé être la synthèse des investigations judiciaires et la base des verdicts à venir, est un écheveau de contradictions et de non-sens judiciaires.

Pour ne prendre qu’un exemple, sur la question essentielle du volet médical, voici ce qu’on peut lire au paragraphe 11.1.5, visant à confondre des agents tortionnaires : « Attendu que le lien de causalité entre la torture subie par la victime et la cause de sa mort reposent sur les témoins oculaires codétenus (…), attestant son exposition à la torture et aux coups, sur les déclarations des Dr Sadok Sassi et Abdessattar Halleb, ainsi que sur les rapports des professeurs de Médecine légale étrangers et enfin sur l’expertise sur ossements réalisée sur la dépouille le 25/04/2013. Cela avait permis de mettre fin à la controverse factice suscitée par des hauts fonctionnaires dans le cadre de la tentative de maquiller un meurtre sous la torture sous l'apparence d'un accident de la circulation. » A la page suivante, paragraphe 11.1.8, on lit ceci : « Attendu que les prévenus Dr Sadok Sassi et Abdessattar Halleb, ont délibérément signé un rapport d'autopsie qui ne reflétait pas les effets de la violence et de la torture qu'ils ont vus sur le corps de la victime, qu'ils ont notés dans le brouillon manuscrit de leur rapport. Leur silence sur les effets de la torture sur le corps de la victime, le viol et la perforation intestinale, ayant entrainé sa mort à l'intérieur Le document officiel approuvé, qui a été utilisé pour protéger les criminels et induire la justice en erreur, ainsi que les comités des Nations Unies et les organisations internationales… »

Vu la rédaction assez rébarbative en arabe, voici l’extrait tel quel :
وحيث أن المنسوب إليهما الانتهاك الدكتورين الصادق ساسي وعبد الستار الحلاب بتعمدهم الإمضاء عل تقرير تشريح لم يعكس ما عاينوه باعترافهم على جسد الضحية من آثار عنف وتعذيب والتي كانوا دونوها بالمسودة الخطية لتقريرهما وسكوتهما عن معاينة أثار التعذيب على جسم الضحية واغتصابه وثقب أمعائه ما أدّى إلى وفاته ضمن الوثيقة الرسمية المعتمدة، والتي تم استغلاله لحمایة المجرمين وتضلیل العدالة واللجان الأممية والمنظمات الدولية…

Mais le fait est que dans tout cela, l’unique constante inattaquable au profit du jeune supplicié, son argument massu, gravé dans les annales du droit international, hors de portée de l’Etat profond toujours tapi sous l’Etat superficiel, le jugement du 10 novembre 1999 rendu par un organe onusien de grand prestige, au terme d’un débat contradictoire de plusieurs années et sur la base d’expertises scientifiques en béton, ce jugement, dis-je, est banni, gommé, nié comme s’il n’avait jamais existé. La justice officielle ne veut pas en entendre parler. Elle prétend réinventer la roue en faisant mine de découvrir l’aspect médical de l’affaire Baraket en 2011 ! Les parties civiles formelles se taisent et laissent faire. Les avocats prétendraient un jour ne pas avoir été informés et les journalistes ont d’autres préoccupations…

Or, sur les 21 pages du jugement, dix pages au moins, soit la moitié du texte, portent sur la discussion médicale fondée sur l’autopsie du Dr Sadok Sassi, explicitée et simplifiée à l’attention des non francophones et non anglophones. Pour autant, ce texte reste aisément à la portée des non médecins, contrairement à ce que certains ont pu prétendre après 2011, à savoir qu’il était « codée… » مشفَّرَة . Sur le volet médical, tous les arguments opposé à Amnesty international en 1992 ont été évalués et classés en leur temps. Le pouvoir lui-même s’était résigné profil bas sur cette question. Il avait fini par opposer un silence gêné à Amnesty, qui avait continué à le harceler sur le cas Baraket.
Cette attitude était cependant impensable devant le CAT. Il fallait se justifier au menu détail, répondre dans des délais précis… Bref, le pouvoir avait fini par se rendre compte qu’il s’était pris dans son propre jeu : ratifier des conventions internationales pour mieux les transgresser.

Le texte du jugement expose méthodiquement comment le Comité en est venu à se forger une intime conviction : les documents médicaux ont tous été reproduits dans le cours de la démonstration. L’autopsie originale des Docteurs Sassi/Halleb, puis l’expertise du Pr Pounder, suivie de l’échange avec les médecins tunisiens et l’auteur de la communication, notamment quant à l’état de la région anale de la victime. Dr Pounder a notamment rejeté la thèse des médecins gouvernementaux selon laquelle une agression par intromission dans l’anus laisserait obligatoirement des blessures. Ont ensuite été commentés et cité en substance les travaux des docteurs Knight, Fournier et Thomsen, qui ont rejoint leur confrère Dr Pounder dans la lecture qu’il a fate de l’autopsie du Dr Sassi, qui l’a conforté dans sa conclusion que Faysal était mort des suites des tortures atroces subies en ce 8 octobre 1991.

Le Comité aura ainsi réalisé à l’époque le travail que la justice tunisienne se devait de mener. Ceci est encore plus vrai après la Révolution du 14-Janvier. Or, non seulement cette justice n’a strictement rien entrepris sur ce plan, mais des magistrats, y compris en cassation, se sont étalés à lancer des avis et à prendre des résolutions sur la bases de documents médicaux, sans aucun éclairage spécialisé. Ils sont allés jusqu’à reprocher au légiste le fait que les magistrats n’allaient pas comprendre son expertise et qu’il fallait qu’il y inscrive noir sur blanc le mot torture. Sans quoi, des magistrats lui reprochent un faux, « avec contrepartie », et on le poursuit pour « complicité de torture. » Ce qui rend tous ces fonctionnaires du Parquet ((علي عبّاس-ناجي درمش-خالد عبّاس-رضوان الوارثي..., soumis au ministre de par la loi, entièrement suspects, au même titre que tous leurs prédécesseurs complices de l’Ancien régime et actuellement cités par eux en tant qu’accusés, pour leurs agissements au service du pouvoir déchu, entre 1991 et 2011 (فقيه-بوخريص- شنوفي).

La discussion en question a réglé la question de l’état du corps au moment du décès, de l’état de la région anale, invoqué par le pouvoir pour nier la mort sous la torture et, in fine, du mécanisme de survenue de ce décès, que les médecins du pouvoir avaient déclaré « impossible à déterminer…». Un dialogue indirect s’était installé entre les praticiens et le Pr POUNDER a dit et redit sa conclusion sans appel, que la mort est due à des tortures atroces et prolongées, comprenant l’introduction dans l’anus d’un objet long sur au moins 15 cm, provoquant la « perforation de la jonction recto sigmoïdienne, qui entraine le déversement des déchets contenus dans l’intestin dans tout l’abdomen, empêchant les poumons de fonctionner, puisque « ne laissant valides que deux segments du lobe supérieur du poumon gauche », souligne le rapport d’autopsie, repris dans les attendus du jugement, au paragraphe 2.5, qui reproduit le texte intégral de l’autopsie du Dr Sassi. D’évidence, nulle comparaison n’est même envisageable entre ce travail de fourmi du Comité onusien et celui entrepris par la machine à vapeur judicaire de Tunis. Le volet médical n’a le plus souvent été abordé que pour le retourner contre le légiste, considéré comme le maillon le plus faible, parfait bouc-émissaire pour dégager les tortionnaires et leurs donneurs d’ordre.
Qui a intérêt à ainsi désarmer la victime après sa victoire contre l’Etat devenu criminel ? Par quel extraordinaire les parties civiles, hormis les intrus étrangers venant parasiter notre cause, se laissent-elles mener à l’abattoir ? Et cette escouade d’avocats débonnaires et toujours aux anges dans les premières loges devant juges et médias, qu’est-ce qui les fait applaudir des clients empressés d’aller marquer des buts dans leur propre cage ? Et ces étrangers qui prétendent mettre la main dans mon affaire tout en se refusant à la moindre concertation, ces petits résidents généraux sans envergure et sans vergogne, qui sont en perpétuelle cocagne à l’ombre des « familles » qu’ils prétendent défendre, en les livrant aux marchands de malheur ? Cela sent la corruption à mille lieues et il faudra mettre les réalités au jour sans plus tarder… Tous ces gens-là doivent savoir que le fait d’ignorer la condamnation de l’Etat tunisien par les Nations Unies dans l’affaire Baraket, ainsi que le fait de ne pas la citer comme base de poursuite contre les coupables, est une trahison et une forfaiture qui leur collera à la peau jusqu’au Siècle des siècles.

Après notre lettre ouverte du 13 juillet 2020 sur BabNet à la Ministre de la justice de l’époque, nous réitérons notre appel pressant au ministre actuel, M. Mohamed Boucetta, magistrat neuf et désormais chef de tous les parquets, pour qu’il regarde de très près ce qui se trame à Nabeul-Grombalia, et dans son administration à Bab Benat, concernant les affaires des martyrs de la torture, en l’occurrence ici Faysal Baraket, qui a obtenu la condamnation de l’Etat tunisien de la part des Nations Unies, comme décrit ci-haut. Entre 2011 et 2017, des fonctionnaires de l’appareil judiciaire sont parvenus à métamorphoser l’affaire, de sorte que les coupables vivent paisiblement et que les témoins-experts médecins de la santé publique sont devenus les principaux accusés de… torture. L’acte d’accusation transmis à la Chambre spécialisée de la Justice transitionnelle est entièrement à charge contre le médecin légiste. Les actes judicaires qui le disculpent et le réhabilitent, notamment un arrêt de cassation, ont été soigneusement dissimulés. Tout en restant vigilant face à cette triste réalité, nous pensons que vos hautes fonctions vous permettent d’agir utilement pour remettre le processus judiciaire à l’endroit, de façon à sauvegarder les droits des victimes et à empêcher l’officialisation de l’impunité. Avec nos souhaits de bonne chance.


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