Financement des entreprises : le calvaire des investisseurs en Tunisie !

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Moktar Lamari, Ph. D.
Universitaire au Canada (*)



Une asphyxie programmée pour la seule démocratie en terre d’islam? La guillotine n’est rien d’autre que le Taux d’Intérêt Directeur (TID)! Les constats et les statistiques se multiplient au sujet des difficultés d’accès, par les entreprises tunisiennes, aux financements bancaires. Un problème de financement, pointé du doigt comme la pire des contraintes, pire que la corruption, que l’instabilité politique, que le marché parallèle! Bien pire que les troubles syndicaux…






C’est la Banque mondiale (BM) qui le dit dans le rapport Survey Entreprises, le 17 septembre, confirmant ce que tous craignaient : les politiques monétaires restrictives menées en Tunisie, ruinent les investissements requis pour innover, créer de la croissance, stimuler le progrès technologique et créer de l’emploi!

Les données produites dans le rapport de la BM sont lourdes de conséquences! Elles requièrent une action collective vigoureuse, capable de changer la politique monétaire actuelle et capable d’imposer plus de concurrence dans le fonctionnement d’un système bancaire, fondé sur la rente et sur la collusion entre la trentaine de banques d’un cartel devenu, avec le temps, trop dangereux pour la croissance économique et pour la création de l’emploi.

Sans détour et chiffres de la BM-SE parlent d’eux-mêmes.

Les entreprises tunisiennes rencontrées par les experts de la WB mettent le problème de financement de leurs entreprises en haut de la liste de leurs problèmes. L’ampleur des difficultés de financements créés, en Tunisie, par ces politiques monétaristes restrictives et toxiques pour le financement des entreprises et investisseurs.
L’inaccessibilité aux financements bancaires est désormais perçue comme plus dévastatrice que la corruption, que l’instabilité politique ou encore que le secteur informel.

Ce rapport en anglais, accompagné de ses micro-données (une preuve de transparence), dit tout haut ce que plusieurs chuchotaient tout bas. Ce rapport bouleverse plein de faux constats économiques ruminés, ici et là, par le discours des élites politiques et la rhétorique médiatisée de certains économistes de la Tunisie post-2011.


Un investissement étouffé par les politiques monétaires

Le rapport de la BM sonne comme un aveu d’échec alarmant de la politique monétaire actuellement menée en Tunisie.

La BM ne fait que donner les chiffres et cela constitue un clin d’œil qui en dit long sur la situation plutôt inquiétante de l’économie tunisienne. La BM ne fait pas des jugements verbalisés, mais tout comme!
Les données factuelles rapportées sont éloquentes, puisque issues de sondages et d’un travail de terrain mené par des spécialistes des sondages ayant interrogé des propriétaires et de hauts dirigeants d’un échantillon d’entreprises rencontrées les derniers mois et semaines en Tunisie.

L’échantillon tient compte de tous les secteurs d'activité, toutes les tailles des entreprises et toutes les régions géographiques en Tunisie. Aucun doute sur la qualité du sondage, la rigueur des analyses et la validité du questionnaire utilisé.
Les enseignements procurés par ces données confirment ce que plusieurs redoutaient : les contraintes de financements sont désormais plus graves que toutes les autres contraintes : corruption, instabilité politique, économie informelle…
Le tableau suivant chiffre ces nouvelles évidences et vient déstabiliser tout un discours politique erroné au sujet des problématiques rencontrées par les entreprises et les investisseurs.



Les constats de la BM sont sanglants ! Les investisseurs et les entreprises déclarent, dans des proportions fortes, que l’accès aux financements bancaires constitue leur principal problème. Ils déplorent que ces contraintes de financement réduisent fortement leur capacité à renouveler leurs équipements, innover leurs produits, conquérir des marchés et surtout créer de la croissance et de l’emploi.

Les opérateurs économiques reconnaissent aussi que la corruption arrive loin derrière les problèmes d’accès aux financements. L’instabilité politique arrive en troisième position sur la liste des contraintes rencontrées par les investisseurs.
Étonnamment, le secteur informel arrive 4e dans le classement des contraintes rencontrées. Pour ces catégories de contraintes, les données montrent que la Tunisie perd de ses avantages comparatifs relativement aux pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Les problèmes de syndicalisme et normes de travail arrivent en queue du peloton. Les impôts et taxes deviennent ridicules face aux taux d’intérêts bancaires et les abus de la politique monétaire de la BCT.

La Banque mondiale est une institution respectable : ses données pour le même sondage fait en 2013 et comparé à celui publié cette fin de semaine bouleversent la donne. Pour comprendre, regardons ensemble le tableau suivant.



La BCT et le cartel des banques sont en cause!

Déjà pointée du doigt depuis déjà 3 ans, la politique monétaire est désormais reconnue comme la principale responsable des principales problématiques de financement et d’investissement dans les entreprises et secteurs industriels.

La BCT assume sa responsabilité dans la débâcle des investissements en Tunisie. Avec une politique monétaire restrictive, et basée sur des taux d’intérêt directeurs exagérément élevés (6,75%-7,75%), la BCT ne rend pas service à l’économie et contribue indirectement au démantèlement des secteurs créateurs d’emplois, qu’ils soient industriels, agricoles ou de services.

Pis, de telles politiques monétaires contribuent à l’édification d’un marché monétaire imparfait, peu concurrentiel et incapable de financer les besoins de financement des opérateurs économiques.
Par de telles politiques monétaires, les taux d’intérêts bancaires se trouvent haussés artificiellement, pour se situer dans des plages allant de 10 à 13% en moyenne. Les banques commerciales et les banques publiques du pays se trouvent complices et agissent en cartel pour optimiser leur profit, avec des taux de profits à deux chiffres, au détriment des entreprises, des investisseurs et de la croissance économique (-21% après la Covid-19).

L’inflation, identifiée comme le mal à endiguer par la BCT, est dans le contexte tunisien mal évaluée, surestimée et surtout instrumentalisée pour maintenir très haut son taux directeur : 6,75% en Tunisie, contre 1,5% au Maroc, 2% en Jordanie, presque 0% dans les pays de l’Union européenne. De telles politiques monétaires, contre-cycliques et surannées, font saigner les entreprises et paralyser la croissance.
Malgré la pandémie de la Covid-19, la BCT n’a pas changé de stratégie et continue à financer les banques, pour que ces mêmes banques prêtent ces montants à l’État, en récupérant sans effort une rente de situation allant de 3% à 5%.
Trois effets pervers sont liés à de telles politiques monétaires et aux difficultés de financement des entreprises et des industries. D’abord, les sommes prêtées au gouvernement réduisent les liquidités sur le marché monétaire, détournant les rares ressources financières pour payer les salaires des fonctionnaires de l’État au détriment des entreprises et des investisseurs, véritables créateurs de la richesse et de l’emploi. Un effet d’éviction très dommageable pour l’accès aux financements par les entreprises et par les investisseurs.

Ensuite, la trentaine de banques installées en Tunisie engrangent des profits colossaux, croissants (10 à 15% par an) et éthiquement injustifiés, et ce par comportements de collusions, peu concurrentiels, alors que la crise économique bat son plein, dans tous les secteurs et toutes les régions. Le tout se fait sous la houlette de la politique monétaire diligentée unilatéralement et sans évaluation par la BCT. Plus grave encore, tout indique que les taxes des contribuables servent indirectement à financer des profits grandissants siphonnés indument par le système bancaire.

Alors que les banques centrales, de par le monde, multiplient les «Plans d’aide» pour les entreprises et les investisseurs, diversifient les lignes de financement pour l’État, la BCT s’enferre dans un dogmatisme monétariste, obnubilé par la lutte contre l’inflation et aveuglé quand il est question des urgences de la relance économique par l’investissement et l’aide aux entreprises.
La BCT et ses politiques monétaires font de plus en plus mal à l’économie…et à la transition démocratique en Tunisie.
La FED (banque centrale des États-Unis) et plusieurs économistes chevronnés ont insisté sur l’importance de faire passer la lutte contre le chômage au détriment de l’inflation.

En conclusion, il convient de souligner que la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme, pour éviter que l’économie tunisienne ne sombre pas davantage dans la déchéance économique et sociale. Les précédents rapports de la BM insistaient davantage sur le danger de la corruption, les risques de l’instabilité politique et les ravages du marché informel. Ce rapport change la donne, en mettant de l’avant les difficultés du financement des entreprises et de l’investissement.

Les élus du peuple, les décideurs au sommet de l’État et les autorités monétaires doivent tirer les conclusions et agir en conséquence. Le FMI doit aussi alléger ses pressions mercantiles et a-économique en Tunisie du post-2011.
Le tout pour sortir la Tunisie de son marasme économique.
Le secteur bancaire doit sortir de sa logique de rente et se livrer à la concurrence (baisse des taux) et aux innovations des produits et services bancaires. De son côté, la BCT doit se libérer de son dogmatisme monétariste suranné; elle doit évaluer ses politiques à l’aune de leurs résultats (et pas avec des objectifs invérifiables).

Le gouvernement, les élites et les élus du peuple doivent se pencher sur les blocages monétaires, les collusions financières …doivent se regarder les yeux dans les yeux pour comprendre ce qui empêche les entreprises d’investir pour créer de la richesse…et de l’emploi durable.
La BCT doit retrouver sa raison : le TID ne peut pas dépasser les 4% aujourd’hui dans le contexte d’une économie mise à terre, exsangue et sans défense par ses économistes élites connaisseurs en politique monétaire.


* Moktar Lamari, Ph. D.
Professeur agrégé et chercheur principal en évaluation des politiques publiques

Statistiques, Indicateurs pour l’Évaluation des Résultats de la Gouvernance institutionnelle (SINERGI) et au Centre de recherche et d'expertise en évaluation (CREXE)
Université du Québec, École nationale d'administration publique


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