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Par Dr Farouk Ben Ammar
Ayant dirigé pendant cinq (5) ans la première usine privée d’assemblage de véhicules utilitaires et de tourisme, ce que je vais présenter ici-bas n'est pas exhaustif, car je n’ai nullement l’intention d’aborder des détails ennuyeux pour le lecteur profane, sans toute fois omettre l’essentiel.
Ayant dirigé pendant cinq (5) ans la première usine privée d’assemblage de véhicules utilitaires et de tourisme, ce que je vais présenter ici-bas n'est pas exhaustif, car je n’ai nullement l’intention d’aborder des détails ennuyeux pour le lecteur profane, sans toute fois omettre l’essentiel.
On a récemment eu vent de pourparlers pour le lancement imminent d’une usine de fabrication d’une automobile 100 % tunisienne : fallait-il lire 100% tunisienne en investissements ?
En 2008, on avait aussi évoqué un projet similaire, qu’on avait salué par un vibrant satisfecit. On prétendait même que le carnet de commande était déjà garni : Un véhicule 100% tunisien à 30 000 TND, et une cadence de production de 600 véhicules/an seulement ! Ou était passé ce projet : était-ce une utopie industrielle, un scoop à effet tapageur ?
Je voudrais mettre en exergue deux cas de figure qui peuvent se présenter :
1. Cas 1 : Fabrication 100% locale destinée à l’export : Ou quêter les investissements titanesques nécessaires, quels sont les marchés et comment faire face à la rude concurrence mondiale ?
2. Cas 2 : Assemblage destiné pour le marché local : Quel serait le taux d’intégration locale et son impact sur le développement de l’industrie tunisienne des composantes automobiles, et quel est le programme de compensation des composantes et produits importés ?
DE L’INVESTISSEMENT
En 1987, une usine d’assemblage pour une capacité maximale de production de 10 000 véhicules/an, avait couté prés 40 Millions de TND en investissements directs, sans compter les crédits à moyen et long terme contractés par les promoteurs auprès de trois (3) grandes banques de la place et auprès de groupes d’investissement étrangers notoires.
Par les temps qui courent, un tel investissement, toutes caractéristiques égales : Capacité de production, Technologie, etc... ne couterait pas moins de 200 Millions de TND, et je parle seulement : Soudure tôlerie (Body Welding), Traitement de surface et peinture (Paintshop), Assemblage garniture (Trim Line)...
En 1992, la comptabilité analytique (comptabilité industrielle) donnait un prix de revient de 10 000 TND pour des véhicules utilitaires livrés en CKD (Complete Knock Down).
En 2012, soit vingt (20) ans après, l’assemblage d’un véhicule similaire ne couterait pas moins de 30 000 TND (10 000 véhicules/an), considération faite, de la hausse des salaires et de la matière première !
Économie d’échelle oblige : Pour réduire ces couts relativement élevés, il faudrait au moins décupler la capacité de production soit 100 000 véhicules/an.
L’investissement serait alors de proportions pharaoniques : 1 500 Millions de Dinars (Production 100% Locale : Exemple de l’Inde) ! Soit le DOUBLE de la somme que l’Etat compte emprunter du Qatar sous forme de placement privé !
Les freins, d’une telle entreprise sont de plusieurs ordres, je citerais ici-bas les plus contraignants.
DES COUTS DE PRODUCTION
1. De la Main d’Œuvre :
Durant la période 1992-1996, la main d’œuvre tunisienne était bon marché, on payait juste le SMIG. La main d’œuvre directe représentait un modique 1.5 % des couts de production par véhicule pour une production de 4 véhicules/heure.
La part des salaires représentait seulement 2% du prix de revient d’une camionnette.
Les véhicules de tourisme sont plus chers à assembler, puisqu’il y a plus d’opérations critiques sur ce type de véhicules que pour les camionnettes, donc une cadence d’assemblage plus faible soit un prix de revient bien plus élevé.
Pour la main d’œuvre, à moins de robotiser une partie des opérations (Peinture, Soudure), les qualifications manquent sévèrement en Tunisie. Sans omettre un taux de travail effectif industriel de 30-40% (80% – 90% Corée du sud).
Il faut inévitablement penser à la création d'un Centre Intégré de Formation Automobile à défaut d’un Centre National Public spécialisé. Ces couts supplémentaires vont s’ajouter à la facture : Formateurs expatriés, et assistance technique étrangère excessivement chère !
2. Des Composantes Automobiles :
Le moteur « nu » coute à lui tout seul plus de 30% du prix total des pièces CDK, c’est se leurrer outre mesure d’affirmer que le véhicule serait produit à 72% en Tunisie (On a initialement déclaré 100 % : On 'est peut-être rétracté pour le moteur).
La qualité de la tôle fabriquée localement est lamentable. A partir de cette tôle on fabriquerait la carrosserie. N’oublions pas que les pièces de tôlerie seront destinés uniquement à cette usine, donc les couts de production seraient excessivement élevés : Sauf si on exporte pour le marché des pièces de rechange.
Les pneus sont de bonne qualité, mais il y des standards à respecter quant aux masses à ajouter pour équilibrer les roues (moins de 60 grammes/roue). Ce standard n’est pas encore respecté en Tunisie. Les jantes des roues seraient importées. C’est inconcevable de les fabriquer localement, quand on sait que les usines européennes en fabriquent des millions par année.
Les accumulateurs sont de bonne qualité aussi, on maitrise la technologie, la capacité de production est suffisante pour les 100 000 véhicules/an, puisque le leader national en produit prés de 1 000 000 annuellement.
Ainsi que les filtres et autres accessoires, tels que les pots d’échappement, les pare-brises, les faisceaux électriques, les câbles, etc. la qualité actuelle, si maintenue, permettrait l’exportation.
Axiome : Il faut adapter la conception de l’automobile aux pièces existantes et produites localement, sauf si on assure l’exportation du surplus de production. Le reste des composantes serait importé.
3. De la Matière Première (Bill of Material) :
La peinture pour automobiles fabriquée en Tunisie paradoxalement à partir de matières premières importées, n’est pas encore conforme aux standards qualité de résistance et d’accrochage : RECOURS A L’IMPORTATION.
On pourrait peut-être comprimer les couts de production en utilisant la peinture à l’eau, technique encore à ses débuts dans les années 90, pour remplacer la peinture acrylique thermoplastique très polluante. La peinture à l’eau est utilisée, en Europe dés 1999 d’après une directive européenne sur l’environnement. La peinture à l’eau est évidemment bien plus chère : RECOURS A L’IMPORTATION.
Quant aux produits de traitement de surface de la tôlerie, le dégraissage, la phosphatation, la cataphorèse…etc., ces produits ne sont pas disponibles en Tunisie que je sache : RECOURS A L’IMPORTATION.
Sans parler des produits de traitement des déchets chimiques hautement toxique à base de chrome qu’il est impératif de respecter, sinon la nappe phréatique serait atteinte : RECOURS A L’IMPORTATION.
CONCLUSIONS & RECOMMANDATIONS
Une industrie automobile 100% tunisienne demeure un rêve de bien de tunisiens : Ingénieurs, économistes et promoteurs. Hélas, dans les 10 à 20 années à venir, on ne pourrait faire que de l’assemblage.
On peut citer quelques exemples de réussites et d’échecs :
• Libye : En Libye un tel projet avec la Corée du sud, entamé en 1994, a été abandonné après avoir été loué et chanté à tue-tête, bien que les moyens financiers ne manquaient pas à cette pétro-dictature : Les Sud Coréens ne voulaient pas compromettre la qualité au profit de la politique.
• Inde : L’Inde a réussi en commençant par la fabrication en sous-traitance de petites composantes automobiles. Une industrie appuyée par une politique commerciale fortement protectionniste qui lui a permis de se consolider. En 2012, ce pays compte produire 20 Millions de véhicules, toutes marques confondues, dont une marque 100% indienne. Une grande partie de la production serait destinée au marché indien : Un marché de plus de 1.2 Milliard d’habitants soit 100 fois la Tunisie !
• Corée du Sud : La Corée du sud a timidement commencé par l’assemblage de véhicules de marques nord-américaines après la guerre civile. Suite à une intégration locale soutenue sur 30 ans, ce pays a réussi à fabriquer localement des automobiles 100% coréennes, plus de 4 Millions annuellement ! Cet exploit industriel a été le fruit d’un transfert de savoir-faire et technologique réussi avec les USA.
• Chine : La Chine a emboité le pas à la Corée. Ce pays produit 25 Millions de véhicules annuellement et une marque 100% chinoise.
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Comment concurrencer ces pays émergents, hérauts de la nouvelle économie mondiale ? Tous les autres projets de part le monde, dont la Turquie qui a un potentiel de produire 2 Millions de véhicules/an, le Portugal, et l’Espagne produisent pour des marques non nationales. Ce sont pour la plupart des ASSEMBLEURS NON DES CONSTRUCTEURS.
Actuellement, il est impossible de produire un véhicule 100 % tunisien. Un taux d’intégration locale de 30-40% serait plus que réaliste et bénéfique pour les équipementiers tunisiens. Le modèle Sud Coréen devrait inspirer nos promoteurs.
Encore faut-il s’assurer que le marché local est preneur (10 000 véhicules/an), en considérant le fait que la Tunisie en importe, officiellement, 50 000 annuellement.
En 1996, l’usine que je gérais a atteint un taux d’intégration de 15% : (Pneumatiques, Ressorts à lames, Accumulateurs, Câbleries), l’usine était rentable pour une production minimale de 8 000 véhicules / an.
Pour importer les pièces nécessaires, non fabriquées en Tunisie, il faut penser à la compensation : c'est-à-dire exporter autant qu’on importe. Exporter des pièces mécaniques et automobiles et aider ses fournisseurs locaux à trouver des marchés porteurs : De cette façon on construit un tissu industriel fort et solide !
Une automobile 100% tunisienne ne pourrait voir le jour que dans le cadre d’un « AUTOMOTIVE CLUSTER » avec des investisseurs étrangers et des équipementiers étrangers produisant pour des marques étrangères qui ont déjà une assise commerciale mondiale. Ensuite assurer un vrai transfert technologique et de savoir-faire avant de « Tunisifier » plutôt que de Nationaliser ces industries.
Dans la législation tunisienne une usine de fabrication est considérée totalement exportatrice si ses fournisseurs sont totalement exportateurs.
Finalement, une question d'ordre institutionnel s’impose : Que font les structures relevant du Ministère de l’Industrie, ne sont-elles pas censées assister ces ambitieux promoteurs et conduire des études de faisabilité et de rentabilité avant de prononcer un « OUI » ou un « NON » au lancement de tels projets, mais il y a loin de la coupe au lèvres.
Les industriels veulent presser le pas, mais le gouvernement doit s’atteler à la tache d’élaborer un PLAN NATIONAL DE DÉVELOPPEMENT DE L'INDUSTRIE AUTOMOBILE , définir des axes qui doivent devenir les aiguillons de l’ensemble de la politique industrielle, et établir une feuille de route pour ce secteur bien que fortement concurrentiel, mais à très haute valeur ajoutée et pourvoyeur d’emplois.
* Dr Farouk Ben Ammar
Ancien Directeur Général
General Motors - Kairouan
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