Réflexions au pied de l'échafaud

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti - L'exécution de Saddam Hussein n'a guère contribué à remonter le moral à la veille des fêtes. Il n'est pas facile d'oublier l'échafaud, les masques des bourreaux, la corde autour du cou du condamné à mort et ses yeux. Spectacle terrifiant et sinistre. C'est qu'à force de banaliser les choses les plus monstrueuses, la télévision fait en sorte qu'elles finissent très rapidement par ne plus intimider personne. Aussi ce spectacle a-t-il été moins effrayant que répugnant.

On pourrait parler longuement de cette sottise criminelle qu'est la peine capitale. Néanmoins, dans le cas qui nous occupe la sottise est particulièrement évidente. Il va sans dire qu'en tuant Saddam, le gouvernement de l'Irak et le président des Etats-Unis, George W. Bush, ont automatiquement condamné à mort des centaines, sinon des milliers d'innocents qui seront désormais déchiquetés par des bombes des sunnites enragés. Cette idée n'était certes pas de nature à égayer le réveillon.

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En ce qui me concerne personnellement, je ne doute pas un seul instant que Saddam Hussein était un criminel. Quoi qu'il en soit, cela doit être prouvé par le tribunal. Mais c'est justement là où le bât blesse, car les accusateurs ont été pris à leur propre piège. Il était parfaitement évident dès le début que cette idée était vouée à l'échec. De quelle indépendance de la justice irakienne peut-il être question en période d'occupation du pays? Peut-on parler de verdict équitable quand le résultat de l'instruction était prédéterminé, et que le travail des avocats était entravé à dessein, alors que de tout le dossier extrêmement volumineux, le tribunal n'a finalement été saisi que d'un seul épisode? Et enfin cette exécution hâtive devait manifestement anticiper l'intervention de George W. Bush sur l'Irak au mois de janvier. C'est que la Maison-Blanche avait manifestement besoin d'un résultat "victorieux" et rapide, quel qu'il fût, de son aventure malheureuse en Irak.

Or, comme le montre le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, quand les juristes d'aujourd'hui se mettent à juger des hommes politiques, ils ratent, en règle générale, leur examen. Imitant sans talent le Procès de Nuremberg, l'accusation s'avère chaque fois perdante, en dépit de tous les atouts dont elle dispose. Il suffit de se souvenir de Slobodan Milosevic qui a facilement triomphé de Mme Carla del Ponte pourtant si sûre d'elle-même. Saddam Hussein a pratiquement réussi à faire à peu près la même chose au procès de Bagdad.

En regardant cet échafaud moyenâgeux et les bourreaux insultant leur victime aux dernières secondes de sa vie, et la dignité dont Saddam Hussein a fait preuve jusqu'au bout, on se rend compte que, moralement aussi, l'accusation a perdu son procès. On dirait que la grâce et la sagesse sont descendues sur l'ancien dictateur en prison, alors que ses opposants politiques prenaient visiblement un plaisir sadique à se venger.

D'aucuns répliqueraient sans doute que ce n'est qu'une image, voire une apparence. C'est possible. Seulement, en politique, les "apparences" comptent énormément. Toute la technologie politique d'aujourd'hui repose sur les apparences.

Les Américains ont, peut-être, l'impression qu'en se débarrassant de Saddam Hussein, ils ont arraché le drapeau des mains de l'adversaire. Mais en réalité, il n'en est rien. La rue sunnite est aujourd'hui pleine de portraits du nouveau martyr. Et désormais les sunnites crient vengeance. Comme l'a fait remarquer la direction d'Amnesty International, la nouvelle direction irakienne avait une possibilité historique de rompre enfin en Irak la chaîne infernale des arrêts de mort, mais elle est passée à côté de cette chance unique. Autrement dit, la justice du nouvel Irak "démocratique" ne s'est pas avérée plus miséricordieuse que celle de l'Irak dictatorial.

Pour ce qui est de l'opinion des organisations internationales de défense des droits de l'homme qui ont toutes, sans exception, condamné la peine de mort, la Maison-Blanche n'en a fait, comme à l'accoutumée, aucun cas. Elle n'a pas non plus tenu compte de l'avis des leaders européens. Pourtant, même Tony Blair, le plus proche allié européen de George W. Bush, a été obligé, bien qu'après une longue pause, de qualifier, par l'intermédiaire de son service de presse, l'exécution de Saddam Hussein de "déplorable et de mal organisée". Laissons sur la conscience des Britanniques la contradiction logique entre la "profonde affliction" face à l'application de la peine de mort, et le regret exprimé à l'occasion de sa "mauvaise organisation". Tout indique effectivement que, du point de vue du premier ministre britannique, la mise à mort n'aurait pas été aussi "déplorable" si les Américains avaient mieux fouillé leurs acolytes irakiens et avaient empêché l'apparition de la fâcheuse deuxième vidéo.

En voilà un exemple concret de l'importance des "apparences" dans la politique.

Il est d'ores et déjà évident que la future administration américaine qui remplacera l'actuelle aura du mal à rétablir la compréhension entre la Maison-Blanche et l'Europe. En effet, ces alliés de longue date ont de plus en plus de différences d'approche de cette notion fondamentale qu'est la démocratie.

Se je ne trompe, seule la direction polonaise a soutenu sans réserve l'exécution de Saddam Hussein. Cette voix solitaire a été remarquée. Cependant, le Vatican dont les Polonais ont l'habitude de scruter les réactions a condamné l'exécution. Mais le gouvernement polonais a sans doute jugé beaucoup plus utile de manifester son dévouement sans faille aux Etats-Unis. Il reste à savoir pendant combien de temps encore la Pologne, qui a tant d'amour-propre, sera la "cinquième colonne" de George W. Bush au sein de l'Union européenne (UE). Et il serait encore plus intéressant de savoir ce qu'aurait dit de cette exécution le président de la Pologne catholique, Lech Kaczynski, si le Polonais Karol Jozef Wojty?a - Jean-Paul II - occupait encore le Saint-Siège.

Force est de reconnaître que dans un premier temps, le nouveau secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Ban Ki-moon, a réagi, lui aussi, avec une parfaite indifférence à l'événement de Bagdad. Et bien que, par la suite, ayant sans doute pris conscience de cet impair, le service de presse de l'ONU ait fourni des explications et que Ban Ki-moon ait exhorté lui-même les autorités irakiennes à modérer leur zèle et à ne pas exécuter les coaccusés de Saddam Hussein, il subsiste un désagréable arrière-goût.

Somme toute, on a l'impression que la communauté internationale a reçu pour des années à venir un secrétaire général de l'ONU un peu "froid". Dommage. Nul doute que le sang-froid est une qualité indispensable pour un diplomate d'un tel rang, mais un minimum de miséricorde ne serait pas superflu dans le monde contemporain.



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